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car l’élément populaire y était encore peu nombreux. Dans les quartiers éloignés, les nouvelles avaient tardé à se répandre. Par une confusion explicable, le bruit avait même couru d’abord que c’était l’impératrice qui était arrivée à Paris. Vers quatre heures seulement, les ouvriers et les fédérés commencèrent à se porter en nombre vers l’Elysée et vers la Chambre. A mesure qu’ils apprenaient les incidens de la séance, ils manifestaient leur mécontentement par des sarcasmes et des menaces contre les représentans et des cris de « Vive l’Empereur ! » Malgré l’effroyable bulletin de la bataille qui venait de paraître en un supplément du Moniteur et en diverses feuilles volantes que l’on se passait de main en main et dont on faisait des lectures à haute voix, ceux-là n’étaient point découragés. La défaite exaltait leur patriotisme, avivait leur haine contre l’étranger, leurs colères contre ses partisans, et laissait entière leur confiance en l’Empereur. Ils voulaient la continuation de la guerre, mais tout leur espoir était Napoléon.

L’Empereur était informé d’instant en instant de tout ce qui se passait au Corps législatif et au Luxembourg. La défection de la Chambre des pairs l’affligea dans ses sentimens plus qu’elle ne déconcerta ses plans. Il ne comptait pas trouver un appui bien efficace dans la Chambre haute qu’il savait aussi déconsidérée déjà que naguère son Sénat. La nouvelle injonction des représentans aux ministres lui donna quelque colère. « Je vous défends de bouger, » dit-il. Tout de même, à moins de recourir à des mesures extrêmes, qu’il était bien loin de vouloir employer, il fallait céder. Après avoir assez longtemps hésité, il autorisa les ministres à se rendre au Corps législatif. Mais afin qu’ils ne parussent point obéir aux ordres factieux de la Chambre, il les y dépêcha comme porteurs d’un second message. D’après l’Acte additionnel, l’Empereur avait le pouvoir de se faire représenter au Parlement par des commissaires de son choix. Il adjoignit aux ministres le prince Lucien en qualité de commissaire extraordinaire. Ses ministres, dont il voyait l’abattement et dont il jugeait la tiédeur, lui semblaient désormais impuissans à défendre ses droits. Pour faire un dernier appel au patriotisme des Chambre, il avait plus de confiance dans l’ardeur et la fermeté de Lucien. « Allez, dit-il, et parlez de l’intérêt de la France, qui doit être cher à tous ses représentans. A votre retour, je prendrai le parti que me dictera mon devoir. «