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« Enfin, et c’est ce qui résume tout le reste, l’amour est un art, une science, une vertu, qui a ses règles, tout comme la chevalerie ou la courtoisie, règles qu’on possède ou qu’on applique mieux à mesure qu’on a fait plus de progrès[1]. »

Comment s’explique la formation de pareilles théories ? Est-il possible de retrouver leur point de contact avec la réalité ? Si, comme il est évident au premier regard, elles ont vite cessé d’y correspondre, comment, par quel miracle de vitalité le genre auquel elles servaient de support a-t-il pu vivre si longtemps et exercer au loin une si profonde influence ? Comment s’est exercée cette influence, et quels en ont été les fruits ? Telles sont les questions qui demanderaient, pour être traitées à fond, de longues pages, et que nous nous contenterons d’effleurer dans celles qui suivent.


I

Les relations entre les sexes telles que les décrivent les chansons et les romans ne peuvent avoir réellement existé que dans une société qui professait à l’égard du mariage la plus complète indifférence, et qui acceptait sans peine l’idée de la supériorité de la femme sur l’homme. Ces deux conditions étaient-elles donc réunies dans la société du moyen âge ? Il semble que poser une pareille question, ce soit la résoudre. L’autorité de la loi religieuse, à défaut de tout autre motif, était alors trop universellement reconnue pour que personne, homme ou femme, ait pu s’affranchir, même dans son for intérieur, d’un lien solennellement consacré par l’Eglise. On pourrait, si l’on ne craignait de raffiner, alléguer que la conception de l’amour, telle qu’elle vient d’être définie, n’est pas dénuée d’une certaine grandeur morale et qu’elle a même dans son principe quelque chose de chrétien Des âmes au-dessus du commun peuvent aspirer à se créer des devoirs au-dessus des devoirs vulgaires. N’est-ce point ce que font tous ces ascètes, canonisés par l’Eglise, qui renoncent au monde pour pratiquer des vertus inconciliables avec la fréquentation des hommes ? Et l’idée même de donner pour ressort à la vie morale la passion, si elle ne peut être qualifiée de chrétienne, est bien un effet de cette exaltation

  1. Romania, XII (1883), p. 518 et s.