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sans conscience, » dit un autre. « Un sommeil dont le réveil se fait plus longtemps attendre. » Pour Horace : « l’exil éternel. » Pour Sénèque, le néant : Post mortem nihil ; ipsaque mors nihil.

Une idée qui revient souvent au milieu de ce conflit d’opinions, c’est colle de la dispersion des élémens vivans. Celle-là, comme nous le verrons, a un fondement réel qui peut être avoué par la science. Nous ne trouverons pas, en effet, de meilleure manière de définir la mort individuelle que de dire qu’elle consiste dans la dissolution de la société formée par les élémens anatomiques, ou encore dans la dissolution de la conscience que nous avons de l’existence de cette société. » C’est la rupture du lien social. La dispersion est une variante de la même idée. Mais les anciens ne pouvaient évidemment pas entendre à notre façon la nature de ces élémens qui s’étaient associés pour former l’être vivant et que la mort libère ou disperse. Nous avons en vue des organites microscopiques, à existence objective réelle : les anciens pensaient à des élémens spirituels, à des principes, à des entités. Pour les Romains, qui s’octroyaient, en quelque sorte, trois âmes, la mort était produite par leur séparation d’avec le corps : la première, le souffle, spiritus, montant vers les espaces célestes (astra petit) ; la seconde, l’ombre, restant à la surface de la terre et errant autour des tombeaux ; la troisième, les mânes, descendant aux enfers. La croyance des Hindous était un peu différente : le corps retournait à la terre ; le souffle, au vent ; le feu du regard, au soleil ; l’âme éthérée, au monde des purs. Telles étaient les idées que l’humanité antique se formait de la dispersion mortelle.

La science moderne se place à un point de vue plus objectif. Elle se demande par quels faits, par quels événemens observables se traduit la mort. D’une façon générale, il est permis de dire que ces faits interrompent un état de choses antérieur qui était la vie et qu’ils y mettent fin. La mort se définit ainsi par la vie. C’est la pensée très sage de Confucius, disant à son disciple Li-Kou : « Quand on ne connaît pas la vie, comment pourrait-on connaître la mort ? »

Mais la cessation des phénomènes vitaux peut être plus ou moins absolue. Elle peut se réduire à une diminution, une atténuation passagère de ces phénomènes, et alors la mort est apparente : elle peut être complète, définitive, irrémédiable, et alors c’est la mort réelle.