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enlacés de branches, de racines, et sur lesquels on a bâti d’humbles villages, utilisant, pour les chaumières d’aujourd’hui, les vieilles murailles des temples ou des nécropoles. Monastères de bonzes, construits au moment de l’expansion des doctrines de Bouddha, transformés en mosquées lorsque vint à passer le torrent de l’Islam, et puis abandonnés quand l’antique brahmanisme reprit possession du sol héréditaire ; sépultures de fakirs, de guerriers ou de derviches ; tout cela se confond à l’ombre bleue des manguiers ou des banians ; de grandes pierres, qui ont été plusieurs fois retournées au gré des fanatismes divers, portent sur une face le lotus de Bouddha, sur l’autre des versets du Coran. Et, au-dessus des tranquilles débris, les gens des chaumières actuelles exercent de petites industries, par des procédés surannés ; ils tissent des ceintures de soie, dont les fils, tendus parmi les herbes, traversent quelquefois tout un vieux cimetière ; ou bien ils colorent des mousselines, qu’ils mettent à sécher dans des recoins de soleil, parmi les lézards, sur quelque ancien pylône de temple.

C’est loin, ce lieu de pèlerinage où me conduit le vénérable Pandit.

En route, nous dépassons une charrette à zébus, remplie de petits enfans qu’emmène une espèce de vieux sorcier, et cela rappelle la voiture ou la hotte de croquemitaine. Au moins vingt bébés de cinq ou six ans, garçons et filles, tiennent là entassés ; on voit sortir leurs têtes de partout, d’entre les planches à claire-voie et de dessous la bâche qu’ils soulèvent. Ils sont parés de bijoux, de colliers, d’anneaux dans le nez, ils sont vêtus de robes de gala et coiffés de hauts bonnets à paillettes d’or ; leurs yeux, déjà grands, ont été amplement cerclés de noir, — moins par coquetterie, me dit-on, que par prudence, pour neutraliser les sorts qui pourraient leur être jetés, à ces innocens, par les regards de quelque méchante vieille des chemins. Le croquemitaine débonnaire qui conduit le lent attelage a la barbe blanche, aussi longue qu’une barbe de fleuve, et son torse nu est couvert de poils blancs, comme une fourrure d’ours arctique. Où les mène-t-il, ces bébés ? A quelque fête enfantine, évidemment, pour qu’ils aient de tels airs d’importance joyeuse, et pour qu’on les ait ornés comme des idoles.

Maintenant nous sommes en pleine campagne, et il faut descendre de voiture, traverser à pied sous l’ardent soleil une petite