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les Andalos pouvaient seuls faire partie du divan. Au point de vue de la religion, nous avons déjà dit ce qu’étaient les Andalos ; les forbans d’Alger n’étaient pas meilleurs musulmans. Il arrivait parfois aux uns et aux autres de capturer des navires chargés de vins d’Espagne avec lesquels ils s’enivraient, considérant que le mettre en vente eût été une transgression plus grave de la loi coranique ; le sieur d’Aranda, témoin de ces libations pendant sa captivité, note dans sa relation : « Le boire est toléré, mais non pas de le vendre. »

Salé, comme Alger, tirait ses principales ressources des prises de ses corsaires et de ses droits de douane, ce qui implique la coexistence dans une même cité de deux choses en apparence contradictoires, la piraterie et le commerce maritime. Fait singulier pour une époque qui ne soupçonnait pas les tolérances modernes du droit international, la liberté commerciale et le brigandage des corsaires existaient simultanément. Les marchands chrétiens étaient souvent entourés de soins et d’égards par les habitans des ports musulmans et restaient d’autre part exposés, en dehors des eaux d’Alger ou de Salé, à toutes les entreprises des pirates. Le commerce avec les Européens était pour les ports barbaresques une source trop grande de bénéfices pour que tous les efforts ne tendissent pas à le maintenir au-dessus des préventions religieuses et même d’actes d’hostilité répétés. Au Maroc surtout, les importations européennes étaient considérables, parce qu’elles s’étendaient aux villes de l’intérieur, tandis que dans les régences barbaresques elles étaient presque exclusivement limitées aux places de la côte. Cette liberté dont jouissaient les trafiquans chrétiens, et qui a si complètement disparu du Maroc, était en outre une nécessité pour les corsaires ; elle leur permettait d’écouler la plupart des prises faites sur les vaisseaux chrétiens, butin dont ils n’auraient pas eu le débit sur place ; les objets capturés, le plus souvent dépourvus de valeur pour les musulmans, n’avaient d’autres débouchés que Gênes, Livourne et Florence où ils étaient vendus à vils prix ; une ordonnance royale en prohibait l’achat en France, à peine de confiscation et d’amende. Il faut donc expliquer par l’intérêt l’autorisation de posséder des chapelles pour leur culte, qui fut parfois accordée aux chrétiens dans les ports barbaresques ; ce n’était pas par tolérance religieuse que les corsaires concédaient ces privilèges, mais bien parce que les marchands européens en avaient