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Quand le butin leur manquait sur mer, les pirates effectuaient d’audacieuses descentes sur les côtes ; les pêcheurs vivaient dans des alertes continuelles et plus d’un, dit Cervantes, « avait vu coucher le soleil en Espagne qui le voyait se lever à Tétouan. » Lorsqu’ils étaient en nombre, les Barbaresques s’aventuraient dans l’intérieur des terres, faisaient irruption dans un village endormi et enlevaient les habitans de tout sexe et de tout âge. Parfois au milieu des divertissemens, des dîners sur l’herbe, on voyait apparaître tout à coup « des gens en culotte rouge et en cape blanche » qui criaient : « Chiens, rendez-vous à ceux de Salé. » C’est parce qu’il arrivait de pareilles aventures sur les côtes de France que Molière put, sans trop d’invraisemblance, introduire dans les Fourberies de Scapin l’explication de la galère enlevant le fils de Géronte. Cyrano de Bergerac, le véritable auteur de cette scène bouffonne, faisait enlever le fils du « Pédant » par les corsaires, entre la porte de Nesles et le quai du Louvre. « Hé, de par le cornet retors de Triton, dieu marin ! s’écriait le Pédant, qui jamais ouit parler que la mer fut à Saint-Cloud ? qu’il y eut là des galères, des pirates et des écueils ? » On voudrait croire, pour l’honneur de l’Europe, que ces descentes de corsaires barbaresques ne furent que des faits exceptionnels et cessèrent bien avant leurs exploits sur mer. Il n’en est malheureusement rien. En 1816, lord Exmouth, commandant les forces britanniques dans la Méditerranée, rencontra un corsaire algérien qui lui demanda des vivres pour deux cents esclaves chrétiens qu’il avait pris sur les côtes de la Pouille et de la marche d’Ancône, en menaçant de les jeter à la mer, si l’amiral refusait des vivres ; les vivres furent accordés.


V

La manière d’opérer des corsaires de Salé ne différait pas de celle employée habituellement par les autres Barbaresques. Leurs exploits étaient dus aux qualités de vitesse de leurs bateaux, aux bandits armés qui y étaient entassés par centaines, à leur puissante artillerie, mais par-dessus tout à leurs ruses et à leurs procédés d’intimidation. Quant à de véritables engagemens, ils n’en eurent presque jamais et ils les évitaient, préférant de beaucoup une proie désarmée et pacifique à la chance glorieuse