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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/85

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apparaître aux regards le ciel pur et azuré, je laisse pénétrer jusque dans l’œil rayonnant du soleil. Voilà pourquoi je mets des points d’orgue[1]. » C’est pour des raisons du même genre que Dante en met quelquefois aussi.

La plainte des luxurieux tourmentés par les flammes est encore un chant mêlé de cris[2]. Il semble que l’ordonnance en ait été réglée par un musicien supérieur, et le génie de Dante a deviné ici des oppositions de tons et de voix, de tessitures et de timbres, en un mot des formes ou des coupes musicales, que les plus grands siècles de la musique devaient peu à peu découvrir.

L’ensemble ou le tutti le plus magnifique éclate au trentième chant du Purgatoire, autour de Béatrice apparue. Sur un char symbolique elle se tient debout. Des vieillards, qui sont les prophètes et les apôtres, l’environnent.


Et l’un d’entre eux, comme envoyé du ciel, chanta trois fois d’une voix forte : Veni sponsa de Libano ; et tous les autres le répétèrent.

Comme au jour des dernières assises les bienheureux se lèveront agiles, chacun de sa fosse, exhalant un Alleluia de leur voix ressuscitée,

Ainsi, à la voix du grand vieillard, se levèrent sur le char divin plus de cent ministres et messagers de la vie éternelle.

Tous disaient : Benedictus qui venis, et jetant des fleurs au-dessus du char et tout alentour, ils ajoutaient : Manibus o date lilia plenis !


Poésie hébraïque, virgilienne, dantesque, toute poésie est rassemblée en cette scène. Tout y est musique également. Un vers en particulier, et dans ce vers, le dernier mot, est d’une musicalité qui le rend impossible à traduire :


La rivestita voce alleluiando.


Rien qu’en ces quatre syllabes la joie, la jubilation de tous les Alleluias grégoriens semble éclater et fleurir. Et dans la mémoire des musiciens, il est impossible que d’autres souvenirs encore ne s’éveillent pas. Il est impossible, ayant lu cette magnifique période, de ne la point associer à maint chef-d’œuvre sonore : au Benedictus de la messe en ré, dont le rythme, qui retombe sans cesse, est justement celui d’une éternelle effusion de fleurs ; aux chœurs célestes écrits par Schumann pour certaines parties du

  1. Traduit et cité par M. Maurice Kufferath dans sa brochure : l’Art de diriger l’orchestre. Paris, chez Fischbacher,
  2. Purgat., XXV, à partir du vers 120.