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pas une seule religion qui ne nous apparaisse avant tout comme « un motif de rassemblement. » Fétichistes ou polythéistes, religions de la nature ou religions de « la souffrance humaine, » religions de haine ou religions d’amour, religions de la famille, du clan, de la cité, religions nationales, religions universelles, toutes les religions ne sont que des rassemblemens, des groupemens, des ralliemens d’êtres humains autour de l’idée commune qu’ils se font de la Divinité ; la mise en participation d’une croyance ; le partage effectif des cérémonies d’un même culte ; et, comme conséquence, l’engagement que prennent les fidèles de souscrire au Credo que leurs prêtres promulgueront pour entretenir ce culte, préserver ou développer cette croyance, l’organiser, la propager, et honorer ce Dieu. Cette société de croyances peut d’ailleurs être, et se trouve avoir été dans l’histoire, plus ou moins étroite, plus ou moins durable, plus ou moins étendue. On a vu des religions locales et on en a vu d’universelles ; on en a vu de familiales et on en a vu de politiques. La religion des Romains a longtemps été « familiale ; » les religions grecques sont de bonne heure devenues « politiques. » On en a vu de jalouses et de fermées, comme le brahmanisme et comme le judaïsme ; on en a vu d’ouvertes et d’accueillantes, comme le bouddhisme. D’autres encore, comme l’islamisme, ont formé des sociétés militaires. Mais ce que l’on n’a jamais vu, c’est une religion qui fût celle d’un seul homme, et la « religion de Socrate » ou la « religion de Platon, » — si l’on tient à se servir de ce mot de « religion, » — n’ont commencé qu’avec les disciples de Platon ou de Socrate. Il n’y a pas de « religion naturelle, » disions-nous tout à l’heure avec Auguste Comte : les termes sont contradictoires. Disons pareillement qu’il ne saurait y avoir de « religion individuelle. » On ne peut pas plus être seul de sa « religion » qu’on ne le pourrait être de sa « famille » ou de sa « patrie. » Famille, patrie, religion, ce sont des expressions « collectives, » si jamais il y en eut. On n’en diminue pas seulement la portée, mais on en altère, on en dénature, on en corrompt le sens quand on les « individualisa. » Toute religion, dans l’histoire, avant d’être autre chose, et de quelque manière qu’on essaie d’en définir l’essence, est association, congrégation, communion, Église ! Et pour achever de nous en convaincre, nous n’avons qu’à considérer dans l’histoire ce que toutes les religions ont appelé du nom de « schisme » ou d’ « hérésie. »