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politique s’était consolidée, son œuvre irréligieuse, au contraire, s’était ruinée ? » C’est ce qu’il n’écrirait assurément plus de nos jours ! Ou du moins, il voudrait s’expliquer ; et, au lieu de dire que « l’objet fondamental et final de la Révolution n’a pas été de détruire le pouvoir religieux, » il dirait que l’intention dernière du mouvement a été de substituer, à l’ancienne religion, la religion nouvelle qu’il était, avec ses dogmes, ses rites et ses prêtres. L’équivoque, — et c’est pour cela que je crois y devoir insister, — ne procède que de ce que, si Tocqueville, avec ses contemporains, ne voyait pas précisément dans la religion « une affaire individuelle, » il n’y voyait pas non plus une « affaire sociale. » La religion n’était à ses yeux qu’une métaphysique transcendantale, une règle de morale et un culte public. Elle était une « philosophie ; » elle n’était pas une « sociologie. » Il savait l’importance des idées religieuses ; il ne savait pas à quelle profondeur les sociétés humaines en sont comme imprégnées, et que ce sont ces idées dont on peut vraiment dire qu’on ne les détruit qu’en les remplaçant. Et, il a bien vu que la Révolution française était à sa manière une révolution religieuse, mais il ne s’est pas rendu compte qu’une révolution religieuse ne peut pas ne pas être une révolution sociale.

Je n’en donnerai que deux raisons, qui sont : la première, qu’on ne fait pas à l’hérésie sa part ; et la seconde, que, ce qui distingue les révolutions sociales ou religieuses des révolutions politiques, c’est qu’elles ne sauraient réussir sans la complicité des foules. On ne fait pas à l’hérésie sa part, en ce sens que, comme le prouve bien l’histoire de la réforme du XVIe siècle, par exemple, on n’attaque pas en un point l’édifice du dogme qu’il n’en soit ébranlé tout entier, et dès que l’hérétique n’est plus seul de son opinion, il faut, comme encore au XIVe siècle, ou comme autrefois, au temps de l’arianisme, que ce soit une moitié de la catholicité qui se détache de l’autre. Des phénomènes analogues se sont produits au sein de l’islamisme. Mais ce qui semble encore presque plus certain, c’est qu’ils ne sauraient se produire dans l’ombre, comme les révolutions politiques, dans le secret d’un sérail ou dans les couloirs d’un palais, et, si j’ose me servir de cette expression familière, il faut que la foule s’en mêle. Une révolution sociale ou religieuse n’est l’œuvre ni d’un homme, ni d’un parti, ni d’un jour.

C’est qu’il ne semble pas qu’elle puisse être, ou qu’elle ait