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reviens aux peintres ambulans dont j’ai vu un échantillon dans certaine église de Petite-Russie.

Nous y étions entrés un matin, les portes grandes ouvertes laissant apercevoir des échafaudages qui indiquaient quelques réparations. En effet les panneaux de l’iconostase portaient des peintures toutes fraîches inspirées de loin par celles de Saint-Wladimir de Kiev : on reconnaissait vaguement la sainte Barbe frêle et maladive, extatiquement souriante de Nesteroff. A côté d’elle, le chevaleresque Alexandre Newsky s’appuyait sur son glaive ; puis venait saint Nicolas, patron favori des paysans, et un autre saint d’allure plus originale, d’un assez intéressant réalisme qui échappait tout à fait au type convenu des figures grecques.

— Sans doute un donataire, me dit quelqu’un.

Une bonne femme du village ne se vantait-elle pas d’avoir mis son mari en pied pour l’éternité, moyennant cinq roubles, sur la porte de droite d’une iconostase ?

Le peintre était maintenant occupé de la coupole ; au sommet d’une échelle, il travaillait ferme et, vu d’en bas, rappelait en perfection le plus lourd des moujiks. Peut-être cependant trouvait-il des joies très nobles dans l’exécution de son esquisse imparfaite. Il recueillait en outre le tribut d’admiration d’un public sympathique, car auprès de lui, sur l’échafaudage, était perché le pope, sa chevelure, retenue derrière la nuque par un ruban comme celle d’une petite fille, flottant très bas sur un caftan de toile grise extrêmement sale. Pope et peintre, aussi attentifs l’un que l’autre, n’échangeaient pas un mot, mais leurs impressions intimes étaient probablement celles que peut donner d’une part la production et de l’autre la contemplation d’un chef-d’œuvre. Pendant ce temps, le staroste occupé en bas à surveiller les travaux, nous faisait les honneurs de l’église encombrée de plâtras, nous montrant avec insistance les dons des personnes riches de la paroisse, entre autres un tombeau du vendredi saint, gaîment peint en vert très vif rehaussé d’or. Et le bruit de nos conversations ne troubla ni le pope ni le peintre. Ils ne tournèrent même pas la tête. La fresque était trop sommairement ébauchée pour que j’en pusse rien voir ; mais elle devait sûrement posséder à défaut d’autres qualités ce qui manque à tant de peinture dite religieuse, l’élément principal, la foi.

Il y avait quelque chose de plus dans celle qu’un moine me fit remarquer à Chersonèse. La cathédrale enferme, comme le