bouche hardiment fendue pour la tribune et pour la table ; la lèvre supérieure épaisse, tendue, creusée, au milieu, d’un pli profond ; deux autres plis aux deux coins de la lèvre inférieure, proéminente, éloquente jusque dans le silence et gourmande même au repos ; puis, terminant et achevant la figure, et comme la marquant du sceau canonical, la chute douce et molle d’un double ou triple menton : tête au front osseux, aux joues pleines, posée droit sur les épaules carrées ; de longs bras, de longues jambes, tout un long corps s’avançant avec le dandinement, le balancement cliché dans les moelles, imprimé aux muscles de la race par l’hérédité d’on ne sait combien de générations de matelots ; tel apparaissait le docteur Schaepman, et tel il se retrouve dans le beau portrait qu’a fait de lui l’habile dessinateur et graveur Jan Veth. Ces traits nettement accusés, et comme soulignés d’un accent si franc, si originaux et si nationaux tout ensemble, étaient populaires dans les rues de La Haye ou d’Utrecht, non moins que le chapeau plat de feutre noir souvent cabossé et la redingote ecclésiastique du docteur (je ne l’ai vu en soutane qu’une seule fois, au couronnement de la reine Wilhelmine) ; chacun le connaissait, le reconnaissait, et le saluait ; au surplus, quiconque eût eu l’envie de lui manquer de respect, eût bien l’ait de ne pas lui en manquer de trop près. Un jour, quelque anticlérical du trottoir s’amusait à le suivre, en l’apostrophant : « Hé, petit père ! » A la fin, impatienté, le docteur Schaepman se retourna : « Père, dit-il, oui, sans doute ; mais pas petit ! » Et de sa lourde main il joignit à la leçon un soufflet qui dut la faire parvenir à destination.
Sa vie politique fut très laborieuse et remplie de discours et d’actes. Un fait, il n’est pas excessif de dire un événement, la domine toute : l’entente, l’accord entre le théologien, l’orateur, le tacticien catholique qu’était le docteur Schaepman et cet autre théologien, orateur et tacticien, cet agitateur et cet organisateur incomparable, — mais protestant, calviniste, celui-là, — qu’est le docteur Kuijper ; l’alliance que leurs adversaires communs ont pu qualifier de » monstrueuse, » Monster-Verbond, mais dont il ne serait pas difficile de dégager les principes et qui, à y regarder mieux, n’est pas si monstrueuse, mais, au contraire, la plus naturelle, la plus rationnelle que l’un et l’autre pussent conclure, s’ils ne s’alliaient pas pour faire de la théologie, mais pour faire de la politique. Préoccupés l’un et l’autre des questions sociales, hostiles l’un et l’autre au « libéralisme » entendu comme peuvent l’entendre des théologiens d’une Église quelle qu’elle soit et considéré, à travers toutes ses transformations ou tous ses