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REVUES ÉTRANGÈRES

BEETHOVEN ET SCHUBERT


Franz Schubert, par Richard Henberger, 1 vol. in-8o, illustré, Berlin, 1902.


Vers quatre ou cinq heures de l’après-midi, durant l’automne de l’année 1825, les habitans de la Bognerstrasse, à Vienne, voyaient souvent passer devant leurs maisons un personnage extraordinaire. Toute la rue, tout le quartier, le connaissaient ; on l’appelait der Narr « le fou ; » et en effet il avait l’apparence et les manières d’un fou. C’était un homme d’une soixantaine d’années, courtaud et trapu, avec une épaisse crinière de cheveux d’un gris sale, que surmontait, toujours rejeté jusque sur la nuque de la façon la plus comique du monde, un chapeau haut de forme à bords très étroits : à moins cependant que le personnage n’allât nu-tête, car parfois, — de préférence les jours de pluie, disait-on, — il avait négligé d’emporter son chapeau. Vêtu d’une redingote crasseuse et d’un pantalon tout effiloché, il allait, d’un pas décidé et rapide, le nez au vent, les mains jointes derrière le dos, sans paraître entendre les cris des gamins qui le poursuivaient. Puis, tout à coup, on le voyait s’arrêter au milieu du trottoir. Il tapait du pied, hochait la tête, semblait battre la mesure avec ses deux mains ; après quoi, il tirait de sa poche un gros carnet auquel était attaché un crayon, et, très vite, il y inscrivait quelque chose qui ressemblait à des notes de musique. Mais ces notes, elles aussi, étaient folles, semées au hasard, de droite et de gauche, sur le papier blanc, sans la moindre trace d’une portée, ni d’une clef, ni de rien qui pût leur donner une signification définie. Et puis le « fou, » reprenant sa course, se dirigeait vers un petit restaurant, Au Chameau,