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de le précipiter dans une guerre contre la Hollande, voire de lui faire tenir tête à Louis XIV lui-même. Mais ce n’était que par sursaut, sous l’empire de la nécessité, que sa volonté se tendait. Les années d’exil, le spectacle des troubles qui avaient agité l’Angleterre, avaient fortifié son inclination naturelle vers les solutions pacifiques et la tolérance universelle. Plus qu’un sentiment religieux véritable, plus qu’une politique consciente et suivie, le désir de vivre agréablement était le principe ordinaire de ses actes. « Tout son but était de passer sa vie dans un repos et dans une tranquillité perpétuels ; il aurait souhaité aussi que tout le monde eût voulu faire de même et eût été ravi de voir tous ses sujets contens et d’être en état de ne refuser jamais à personne ce qu’on lui demandait. » Par ennui de refuser, il promettait volontiers, mais, par difficulté de tenir, oubliait ses promesses ; par mépris de la nature humaine, il tolérait les flatteurs sans en être dupe ; par indolence autant que par bonté, il ne poursuivait point ses ennemis ; et il abandonnait ses amis avec regret, mais sans remords, s’ils risquaient de le compromettre. « Ennemi irréconciliable de la religion protestante, des parlemens et des femmes vertueuses, » ainsi le qualifie un de ses ennemis, mais avec exagération, car son scepticisme ne se haussait point à haïr. Mais, au protestantisme sombre et » persécuteur qui avait fait couler le sang de son père, il préférait, puisqu’il faut une religion, la pompe plus élégante du catholicisme ; aux parlemens bruyans et discords, il préférait l’argent du roi de France et les fêtes de Whitehall. Quant aux honnêtes femmes, s’il en était, il n’en avait guère souci, n’ayant jamais cherché compagnie que parmi les autres.

Il y avait beau temps, en effet, qu’était oubliée la reine portugaise, « aussi laide que vertueuse, » qui un beau jour était débarquée à Londres, traînant à sa suite « six monstres qui se disaient filles d’honneur, » escortées d’une duègne plus laide qu’elles. Elle ne faisait pas grande figure dans la cour affairée, galante et bruyante dont Hamilton nous a conté la chronique secrète et où deux Français exilés, le chevalier de Grammont et le comte de Saint-Evremond, donnaient la note du bon ton. Là, comme à Versailles, c’était une fièvre d’intrigues, de plaisirs et de jouissances. Mais, par réaction contre les austérités récentes du puritanisme, en haine des Hudibras qui avaient opprimé la nation, et à cause du tempérament plus brutal de la race, il y avait