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de France quelque parti à tirer de la nouvelle passion du monarque, son allié. Tandis que le comte de Molina, ambassadeur d’Espagne, croyait grandement servir les intérêts de son maître en comblant de présens la Castlemaine, Colbert, plus clairvoyant, notait la diminution de son crédit ; et, tout en demeurant l’intermédiaire des largesses de Louis XIV à la cour, et se conciliant l’amitié du monarque en lui offrant de temps en temps « une petite débauche libre et gaie, » il songeait, d’accord avec Arlington, dont Mademoiselle de Kéroualle ne raillait point l’emplâtre en losange, à faire tourner cette aventure au mieux des intérêts communs du roi de France et du ministère de la Cabale.

Au mois de septembre 1671, un an après son arrivée en Angleterre, Louise résistait encore : « Un petit mal de cœur, » qui la prit à dîner chez Colbert, donna de l’espoir. Colbert aussitôt en avertit Louvois, qui le manda à Louis XIV. Le roi se montra fort surpris que « pareille fortune » fût échue à Mademoiselle de Kéroualle. Mais on s’était trop hâté. Louise fait toujours la précieuse, quoiqu’elle soit logée à Whitehall, qu’elle reçoive tous les jours le roi pendant plusieurs heures, qu’elle le laisse participer de moitié à son jeu. Il faut précipiter les événemens. Colbert et Arlington tombent d’accord qu’il serait très préférable, « pour tous les bons serviteurs du roi, que son inclination se portât sur celle-ci, qui n’a pas d’humeur malfaisante et qui est demoiselle, que pour des comédiennes et bien d’autres petites créatures avec lesquelles nul honnête homme ne pouvait prendre aucune mesure. » Arlington avertit son compère « de conseiller à cette demoiselle de bien ménager les bonnes grâces du roi, de ne lui faire trouver chez elle que plaisir et que joie ; » et Colbert se chargea de venir en aide à Madame Arlington pour lui persuader « de consentir à tout ce que le roi désirerait et qu’il n’y avait point d’autre parti pour elle que celui-là, ou une religion en France. » D’ailleurs, il est certain de sa bonne volonté et ne doute point « que, si elle fait assez de progrès dans l’amitié du roi pour pouvoir être utile à quelque chose au service de Sa Majesté, elle fera son devoir. » De loin, Louis XIV suit toutes les péripéties du complot, et c’est lui-même qui daigne mander, par l’intermédiaire de Louvois, qu’il verra avec plaisir la jeune fille en possession définitive des bonnes grâces de son allié.