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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/15

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C’est un assaut d’amabilité française et de cette « politesse spécifiquement allemande » que le Chancelier déclarait goûter plus que tout. Sur le coup, M. Thiers riposte :


Général, je ne sais quelles plumes a pu vous envoyer M. de Bismarck, mais celles que vous aviez employées précédemment étaient très suffisamment françaises, et en toute langue elles seraient considérées comme aussi sensées que spirituelles...


Mais cette facilité de relations n’est qu’un moyen ; il ne faut point perdre de vue le but :


... Je suis enchanté du commerce qui s’établit entre nous, et j’espère qu’il contribuera à maintenir la paix, et, en tout cas, à la rendre amicale et peu coûteuse en dépenses et surtout en rigueur pour les populations.


Comme les petits cadeaux entretiennent l’amitié, si le proverbe dit vrai, — et il est bon qu’il dise vrai, — M. Thiers offre à Manteuffel, en échange des Français graciés, « la liberté de quatre soldats prussiens détenus et par lui réclamés. » De son côté, le général est charmant, parce qu’en cela on ne reçoit pas sans donner, parce qu’il est charmé, c’est le mot propre et c’est le mot qu’il emploie : « il est sous le charme. »


Il professe pour Votre Excellence, écrit M. de Saint-Vallier, un véritable culte et une haute admiration ; pour me servir de ses expressions, il est absolument sous le charme. Les entretiens qu’il a eus avec Votre Excellence sont restés gravés dans sa mémoire ; il me les rapporte avec un plaisir évident, en me disant qu’il les garde comme un des souvenirs les plus intéressans et les plus flatteurs de sa vie, et la bonne fortune d’être votre mandataire auprès de lui me vaut, en grande partie, les procédés affectueux qu’il me témoigne.


Sans doute ces sentimens, de part et d’autre, sont sincères, et rien n’autorise à en suspecter la qualité : mais est-il téméraire de penser que, de la part de M. Thiers, il s’y mêle quelque diplomatie ? M. de Saint-Vallier, du moins, paraît incliner à le croire et dit, comme s’il voulait faire comprendre à M. Thiers qu’il l’a compris :


J’espère voir M. de Manteuffel dès qu’il rentrera ; je lui donnerai lecture des passages de votre lettre qui le concernent, et la respectueuse admiration qu’il professe pour vous m’est un sûr garant de la vive satisfaction qu’il ressentira en attendant votre flatteuse appréciation de son caractère et de ses talens. En un mot, Monsieur le Président, vous m’envoyez des armes excellentes, et je vais tout mettre en œuvre pour en tirer parti.