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groupes bariolés dont l’étalage fera le prix de l’éblouissant décor tendu par Pinturicchio dans les salles de l’appartement Borgia. La richesse de Cosimo, lourde et marchande, n’a pas le raffinement d’un luxe. Son or moulu et son lapis broyé ne dissimulent pas l’indigence d’une action nulle, d’attitudes monotones, de draperies mesquines, de visages uniformes et de regards vides. Le Moïse armé des Tables de la Loi et le couple dansant devant le Veau d’or ont les mêmes mouvemens gauches et froids ; le Christ et le Judas de la Cène ont la même face ingrate. Si l’anecdote de Vasari n’est pas un conte d’atelier, Sixte IV, en donnant la préférence à Cosimo Rosselli, s’est laissé prendre à de grossières amorces. Faut-il croire que le pape qui fit de sa chapelle le plus riche musée de l’art florentin et ombrien du XVe siècle, ait été un théologien sans intelligence du monde visible et des artistes qui en reproduisent les apparences ? Les noms des peintres appelés à décorer la Sixtine prouvent au moins que Sixte IV fut des premiers à distinguer ceux qui allaient devenir, entre tous leurs contemporains, les maîtres du chœur.

Dans cette réunion d’artistes, Cosimo Rosselli était le seul qui fût arrivé au milieu d’une carrière féconde. Tous les autres sont des hommes jeunes encore ou même des jeunes gens. En 1481, Signorelli atteint la quarantaine ; Botticelli et le Pérugin ont trente-cinq ans ; Ghirlandajo trente-deux ; le Pinturicchio vingt-cinq ; Piero di Cosimo est dans sa dix-huitième année. Les plus mûrs de ces artistes ne sont connus encore que par un petit nombre d’œuvres ; deux d’entre eux font littéralement leurs débuts dans la chapelle du Vatican. Autour d’un maître médiocre et de réputation solide, Sixte IV n’a groupé que des hommes riches de sève et d’avenir.

La jeunesse des peintres a gardé sa liberté au service des dogmes vénérables. La suite des fresques compose un poème sacré : chaque tableau, pris à part, a été, pour le peintre qui l’a peuplé de nombreux personnages, une occasion d’exprimer amplement ses préférences pour telles formes, tels mouvemens. À l’ombre de la théologie qui garde, dans ses fantaisies les plus audacieuses, l’impersonnalité d’une science divine, Florentins et Ombriens ont donné carrière à leur personnalité d’artistes.

Les deux débutans qui avaient suivi à Rome des maîtres déjà renommés ne prennent pas encore dans la Sixtine une physionomie parfaitement distincte. Piero di Cosimo, le cadet du