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qu’ils portent le costume du XVe siècle et qu’ils sont des portraits de contemporains.

Cette foule se masse dans les coins des compositions et regarde placidement Moïse ou le Christ qui enseignent, bénissent ou maudissent, à quelques pas des curieux, sur le même sol, devant les mêmes horizons de montagnes. On dirait d’un mystère dont les tréteaux seraient envahis par les spectateurs. Quelques personnages, impassibles comme ceux qui composent le gros du public, se mêlent familièrement à la suite du patriarche ou du Rédempteur ; ils se tiennent debout au milieu même du tableau, sans donner aucun signe d’étonnement ou de respect.

Moïse, dans le moment tragique où il assiste à la perte de Pharaon et de toute son armée, n’est point entouré d’Hébreux : le législateur d’Israël est flanqué d’un cardinal en cappa magna, d’un jeune guerrier en cuirasse noire, d’un homme vêtu de noir, avec un bonnet florentin ; ces privilégiés tiennent à distance le peuple sauvé par Dieu. De même un personnage en costume du XVe siècle montre sa tête de bourgeois italien, coiffée du berretto noir, entre le Christ qui bénit, au bord du lac de Tibériade, les apôtres agenouillés, et le disciple à longue barbe qui a, sous son ample manteau, la dignité d’un prophète peint par Giotto. Dans cette assemblée bigarrée et indifférente, dont les têtes se comptent par douzaines, toutes les conditions semblent représentées et tous les âges.

Quels ont été, dans leur vie éteinte depuis quatre siècles, ces hommes qui se trouvent admis à perpétuité dans la plus auguste chapelle du monde chrétien et qui y conserveront, tant que le Vatican sera debout, le costume et le visage qu’ils avaient en l’an de grâce 1482 ? Seules des traditions orales très flottantes se conservèrent jusqu’au milieu du XVIe siècle autour des portraits de la Sixtine.

Le 15 mars 1586, Fulvio Orsini écrivait en ces termes à un ami qui lui avait demandé un portrait du fameux helléniste Théodore Gaza : « Je me souviens d’avoir entendu raconter par le cardinal de Sant’Agnolo que le pape Paul III lui avait autrefois montré dans la chapelle de Sixte IV les grands tableaux où étaient représentés Bessarion et cinq des Grecs, ses compagnons, entre autres l’Argyropoulos, Gaza et Sipontino. Gaza avait le chapeau sur la tête. »

Que ne donnerait pas un historien d’aujourd’hui pour recueillir