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résumé, il n’y eut jamais de ministre plus désagréable, ni plus commode. » On voit qu’elle ne se lasse pas de frapper sur Wellington. Jadis, elle le sacrait grand homme ; maintenant elle le déteste et ce n’est qu’après qu’il aura été renversé que son ressentiment désarmera. Jusque-là, elle ne prononce jamais son nom sans y ajouter un coup de griffe.

Un peu plus tard, en août, quand la révolution de France est consommée, elle y revient et ignorant encore ce qu’en pense son souverain, elle la juge avec une bienveillance à laquelle on ne s’attendait pas de la part d’une sujette enthousiaste et soumise de l’autocrate russe. Après avoir déclaré que c’est un grand malheur « qu’il ait pu être dans la puissance d’un imbécile comme Polignac de léguer à l’Europe ce labyrinthe de confusion et de danger, » elle ajoute : « La France est-elle tranquille et les voisins le sont-ils ? Le nouveau Roi est bien faible et facile, cette garde nationale bien républicaine, l’Espagne bien mal gouvernée, l’Italie bien opprimée et l’exemple de la France d’autant plus dangereux que cette révolution, il faut le dire, a été conduite avec modération et qu’elle a été entièrement provoquée par la mauvaise foi du gouvernement. Si, d’un côté, cet exemple est utile aux rois, il est mauvais pour les peuples. Enfin c’est une bien méchante affaire à laquelle il n’y a pas de remède et qu’il s’agit seulement de rendre le moins dangereuse possible. Je crois que le parti de soutenir ce nouveau gouvernement est le seul sage.

« Ici on a bien fait la grimace dans les premiers momens ; mais il a fallu se plier à la nécessité. Le duc de Wellington, qui a le tact fin dès qu’il s’agit de sa propre sécurité, a deviné bientôt qu’il fallait reconnaître la nouvelle France, ou quitter son poste. Il a pris le premier parti dans un moment opportun. D’une main, il donne asile à une dynastie qui a fini ; de l’autre, il reconnaît la dynastie qui commence. Il ne trouvera en Angleterre que des applaudissemens, si l’on en excepte quelques ultras, le duc de Cumberland à la tête, qui eussent voulu qu’on fît la guerre pour soutenir les droits du Duc de Bordeaux. C’est du romantique et de la chevalerie qui vont bien dans la bouche de M. de Chateaubriand, mais qui s’appliqueraient mal à l’état actuel de l’Europe. Tout est devenu trop positif dans le monde pour qu’on puisse se livrer à cette pente-là.

« J’ai vu le duc de Wellington avant-hier dans un long