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avec ces entretiens. » Et comme elle avait reçu des nouvelles de Londres, elle s’efforçait, en les transmettant à son frère, de tromper la longueur de ses journées.

On serait surpris de voir à tout instant des informations politiques mêlées à ses lamentations, si elle ne nous avait maintes fois prouvé que les « affaires » ont à ses yeux un intérêt assez puissant pour qu’elle y trouve un remède, même dans les circonstances cruelles qu’elle traverse. Mais, elle a été, avoue-t-elle, trop gâtée par sa vie de Londres pour que sa vie de Berlin puisse lui donner les satisfactions qu’elle préfère. « Aujourd’hui mon esprit est aussi parfaitement privé d’aliment que l’est mon cœur. Ah ! mon pauvre cœur, qu’il est brisé, anéanti ! et rien, rien du tout pour me tirer de ma profonde douleur. Ah ! si j’étais un homme ! Je suis touchée du souvenir de l’Empereur et de l’Impératrice. Dites à l’Impératrice que je ne lui écris plus parce que je ne m’en crois plus le droit. Quand je le faisais, mes lettres avaient de l’intérêt. Mes récits d’Angleterre lui plaisaient. Aujourd’hui que je n’ai plus à parler que de ma triste personne, je ne me permets pas de l’importuner, mais j’aurai toujours dans le cœur le souvenir de ses bontés et la pensée qu’Elle me les continue... J’ai été plus mal ces jours-ci, les médecins me renvoient et je partirai dans peu de jours pour Francfort d’abord et de là pour Baden-Baden. »

Comme ses précédentes lettres, celles qu’elle écrit de Baden-Baden ne sont que plaintes, regrets, démonstrations de l’impossibilité d’être encore heureuse, à laquelle elle est condamnée... « Je suis bien aise de la nouvelle que vous me donnez que mon mari a momentanément de l’occupation pour son esprit. C’est la seule façon de noyer les peines de cœur. Si vous pouviez inventer un remède pareil pour le mien, pour ce cœur si brisé, si malheureux ! Il n’y a que cela qui me donnerait du soulagement. Tout le reste n’a aucune puissance sur ma douleur. Le beau climat, le beau pays, tout cela ne m’inspire qu’indifférence ou même tristesse, car avec eux, avec mes pauvres chers enfans j’y serais si heureuse ! Sans eux, il n’est plus de joies pour moi.

« Je voudrais avoir un intérêt, une occupation dans le monde, je me sens capable encore d’occuper utilement mon esprit ; mais cette occupation, le seul remède possible pour moi, me manque : et la vie n’est plus qu’un vide affreux, une tristesse éternelle, et ne me laisse d’autre désir que la tombe. Je ne vous