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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/264

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agens au dehors, la fortune, en déjouant sans cesse l’héroïsme de nos armées, affaiblissait de jour en jour ses moyens d’action et déconcertait son travail. Nos échecs sur la Loire, les progrès de l’invasion, l’abandon des combinaisons stratégiques dont on avait tant espéré, dissuadaient trop bien les Cabinets de prêter l’oreille à nos instances. L’insuccès des grandes batailles livrées sous Paris par le général Ducrot, à la fin de novembre, acheva de les convaincre de notre irrémédiable défaite et de leur démontrer l’inutilité d’une intervention que notre implacable adversaire serait moins disposé que jamais à accueillir. Puis, à toutes nos détresses, la fortune ajoutait ses ironies. La douleur que nous causa cette infructueuse sortie des troupes parisiennes fut aggravée pour nous, à Tours, par une cruelle déception.

Le bruit s’était répandu dans la ville que ces combats avaient été heureux, que le gouvernement venait d’en être avisé par un télégramme officiel, et que M. Gambetta allait personnellement annoncer à la population cette grande nouvelle. Nous courûmes aussitôt, mes collègues Delaroche, Sorel et moi, à la Préfecture, où résidait le ministre de l’Intérieur et de la Guerre. J’ai encore devant les yeux cette scène étrange. A peine étions-nous entrés dans la cour où se rassemblait la foule frémissante, avide, après tant d’épreuves, d’apprendre enfin un événement heureux, de la bouche même du célèbre orateur, que nous vîmes s’ouvrir la fenêtre d’un balcon au premier étage, et M. Gambetta parut, la tête haute, le visage animé, étendant les mains vers les masses agitées qui le saluaient de leurs acclamations. Son geste fier domina tout à coup le bruit, et, de sa belle voix émue et vibrante, il commença ex abrupto : « Enfin, après soixante-douze jours de siège, Paris a brisé le cercle de fer qui l’entourait, etc. ; » puis il fut une dépêche d’état-major qui donnait le détail des opérations militaires et, l’interprétant avec son éloquence accoutumée, il exposa les espérances qu’un si brillant fait d’armes autorisait à concevoir. Jamais peut-être son langage sonore n’avait été aussi puissant, et j’ajouterai plus sincère. La foule se retira enthousiasmée, et nous eûmes tous, un instant, comme elle et lui, l’illusion de la victoire. Toutefois, à la réflexion, le télégramme de Paris me laissait une certaine inquiétude : j’avais remarqué, au passage, des indications topographiques qui ne me semblaient pas d’accord avec le commentaire du ministre. M. de Chaudordy, à qui je fis part de mes doutes en rentrant à l’Archevêché,