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que je respectais sans tes partager J’appris donc sans surprise, le lendemain, qu’il avait cru devoir s’abstenir

A propos de cette séance de l’Assemblée nationale, je citerai un fait, peu connu, je pense, et dont j’ai été témoin. Bien que la Délégation n’existât plus, j’avais été chargé de recevoir les ambassadeurs étrangers dans la loge qui leur avait été réservée au théâtre de Bordeaux où, faute d’un emplacement mieux approprié, siégeaient les représentans du peuple. En cette enceinte destinée à des drames imaginaires et où apparaissaient en ce moment les réalités sombres, toutes les âmes palpitaient de douleur et de colère : les députés sur leurs bancs, la foule qui remplissait les galeries encombrées jusqu’au faîte, maîtrisaient malaisément leurs fièvres, et il était inévitable que l’émotion des élus du pays appelés à ratifier l’acte qui les désespérait, la haine contre l’Empire, le deuil et les indignations de la patrie provoquassent des déclarations retentissantes et des discours ardens. La séance toutefois s’était continuée sans que, parmi les paroles irritées ou navrées que ne justifiaient que trop nos désastres, aucune pût blesser directement tel ou tel des gouvernemens neutres, lorsque Victor Hugo, entraîné par son impétueuse éloquence, dirigea tout à coup sa foudre sur le Saint-Siège et l’Autriche. Cette agression était d’autant plus inopportune que le Vatican aussi bien que le cabinet de Vienne, atteints l’un et l’autre par le contre-coup de nos revers, nous avaient montré constamment des sympathies, impuissantes il est vrai, mais sincères. Le nonce, Mgr Chigi, écouta un instant, avec un calme affecté, ce langage exubérant : je voyais cependant passer une ombre sur son fin visage de prince et de prélat romain ; mais quand l’orateur s’écria : « En cette année de concile et de massacre..., » l’hyperbole épuisa la patience du ministre pontifical : « J’en ai assez, » me dit-il avec une froide dignité. Il se leva sans bruit et sortit de la loge. Je l’avais à peine reconduit lorsque à son tour le prince de Metternich, non moins offensé par la suite du discours, me serra la main et le suivit. Leur départ troubla si visiblement les autres ambassadeurs que je les crus un moment disposés à se retirer ensemble ; les idées de l’orateur prirent heureusement un autre cours, mais, s’il eût continué, il est certain que la loge diplomatique fût demeurée vide.

Notre attention fut d’ailleurs bientôt détournée de cet incident par la suite de la séance. Je n’ai pas à rappeler ici cette