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l’assaut des Tchèques ; et c’est au nom de Luther qu’ils mènent contre les Tchèques la guerre de Dieu, la guerre du Dieu allemand. Le hussitisme, révolte de la conscience tchèque en terre tchèque, fraya les voies à la Réforme, et Podiebrad, nous dit son dernier historien M. Ernest Denis, sauva la Réforme en même temps que la nationalité tchèque. Mais cette Réforme elle-même, par une sorte de reflux, revient battre les montagneuses murailles qui font ceinture à la Bohême, et elle réclame le droit, pour la conscience germanique, de devenir maîtresse en terre tchèque. Bartoch s’était donc trompé : les Tchèques, après Luther comme avant, gardent plutôt leur confiance en un de leurs vieux documens du XIVe siècle, la chronique de Dalimil, où il est dit en propres termes : « Les Allemands font d’abord les modestes ; puis, dès qu’ils se sont multipliés, ils oublient qu’ils sont nos hôtes et vont chercher un prince dans leur pays. » La postérité du « savant moine Luther » justifie, six cents ans après, la malicieuse défiance de cette chronique.

L’histoire a de singuliers retours. Au XVe siècle, la Bohême hussite avait pour mot d’ordre la rupture avec Rome et avec l’Allemagne, Los von Rom und Los von Deutschland : elle se flattait de conquérir son autonomie à l’endroit des influences allemandes en prenant une attitude religieuse qui la mît aux prises avec l’Eglise romaine. Au XXe siècle, ce sont les ennemis du royaume de Bohême qui ont à leur tour arboré la devise : Los von Rom ! Et ils ajoutent : Los von Prag ! Le même cri de révolte religieuse qui jadis, s’essayant sur des lèvres tchèques, accompagna l’expulsion des Allemands, est aujourd’hui poussé par des lèvres allemandes et prépare le refoulement des Tchèques. Les mots ont leurs caprices, comme les hommes ont les leurs ; la sérénité romaine survit aux uns et aux autres et continue de planer, immuable, par-dessus ces peuples qui ne lui cherchent querelle que pour se mieux gourmer entre eux.


GEORGES GOYAU.