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près de cinquante années, puisqu’elle ne mourut qu’en 1734, âgée de quatre-vingt-cinq ans. « Jamais femme, écrit Voltaire, n’a conservé plus longtemps sa beauté. Nous lui avons vu, à l’âge de près de soixante-et-dix ans, une figure encore noble et agréable que les années n’avaient point flétrie. » Elle vécut pendant quelques années à Paris d’une manière assez brillante. Puis ses affaires financières s’embrouillèrent singulièrement, surtout quand ses rentes anglaises cessèrent de lui être payées après l’avènement de Guillaume III. Une démarche qu’elle fit auprès de Lauzun en 1688, lors de la révolution d’Angleterre, pour offrir ses services à la reine détrônée et malheureuse, quelques voyages mi-diplomatiques en Angleterre, ses relations avec quelques grands personnages du temps, ses suppliques continuelles auprès de Louis XIV et de ses ministres, puis auprès de ceux de son successeur afin d’obtenir l’aide royale dans sa misère relative qui finit presque par devenir réelle, sa vie de plus en plus modeste, retirée et bienfaisante dans ses terres de plus en plus appauvries, les ennuis que lui donna son fils redevenu anglican et orangiste, enfin une touchante correspondance d’aïeule avec son petit-fils, voilà la matière de détails biographiques où il n’y a pas lieu de nous arrêter. Jusqu’à la fin de son règne, Louis XIV garda la mémoire de ses services et lui montra de la bonté. Mais peu à peu le silence se faisait autour d’elle, ses amis s’éteignaient ou la négligeaient. Après la mort du roi, elle s’enfonça davantage dans l’oubli général. Sa disparition éveilla à peine un souvenir.


XI

Nous croyons avoir montré qu’elle mérite d’en laisser un dans l’histoire, et qui n’est pas peut-être exactement celui que l’on a coutume de garder d’elle.

Les écrivains anglais, — et nous parlons des plus éminens, — n’ont en effet pas traité la duchesse de Portsmouth d’une manière très différente des pamphlétaires puritains de son temps. En bloc, à l’envi, ils ont flétri la courtisane étrangère avide et impudique qui a vendu l’Angleterre à Louis XIV, qui a mis tout son esprit d’intrigue au service d’une royauté qui déshonorait la nation et d’une religion qu’elle abhorrait. Elle est la personnification du régime des favorites dans ce qu’il a de plus répugnant : son nom est inséparable des hontes du règne de Charles II.