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traînante, et la pièce finit quand il plaît à l’auteur. Pouvait-on du sujet des Appeleurs tirer un roman ? il semble en tout cas qu’il ne fût point fait pour la scène.

Il s’en faut d’ailleurs que ces trois actes soient sans mérite. M. Ambroise Janvier a un réel talent d’observateur. Il a dessiné avec finesse un portrait d’envieux. C’est un voisin, un ami des Jacquelin. Mon Dieu ! préservez-moi de mes amis ! A force de maladresse, cet imbécile a gâté des affaires florissantes, s’est ruiné, a mené les siens à la misère ; c’est pourquoi il en veut de sa propre insuffisance à tout le genre humain et il traite comme ils le méritent ceux qui ont eu le mauvais goût de se montrer moins inhabiles et moins ineptes que lui. Il abonde en réflexions amères et allusions désobligeantes. Il n’a garde de s’en tenir aux paroles, et, par une combinaison d’événemens assez embrouillés, il s’arrange pour faire du mal aux Jacquelin et leur nuire effectivement. Il est regrettable que M. Ambroise Janvier ait éprouvé le besoin de convertir sur la fin de la pièce ce vilain homme. Ce qui eût été de bonne observation, aurait été de nous le montrer se réjouissant du désastre de ses amis, et trouvant dans le spectacle du malheur d’autrui la seule consolation, la seule joie que la vie lui tînt encore en réserve.

Le type de l’envieux faisait partie intégrante d’une pièce qui a pour sujet le bonheur : au contraire le personnage d’une servante dévote, et pour ainsi dire abêtie par un mysticisme farouche, y est autant qu’il est possible un personnage épisodique. Ce n’est qu’une caricature. Mais elle est amusante. C’est le seul élément de gaieté que contienne cette pièce triste. Les Appeleurs sont une œuvre sans clarté, sans mouvement. Il y a des gens dont on dit qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent, mais qu’ils le veulent bien : il semble que M. Janvier n’ait pas su exactement ce qu’il voulait dire et que, d’ailleurs, il ne l’ait pas bien dit. Toutefois, on a été fort injuste pour lui : on n’a pas tenu compte des qualités qui sont comme enveloppées dans ces trois actes : un tour d’esprit original et quelquefois une pénétration psychologique intéressante.

Les Appeleurs ont eu une courte fortune. La pièce était convenablement jouée : une débutante, Mlle Sylvie, a donné au rôle de la servante beaucoup de relief.

Au contraire de M. Ambroise Janvier, l’auteur de Werther, c’est M. Pierre Decourcelle que je veux dire, est un dramaturge des plus expérimentés. On le savait de reste : il vient de nous en administrer une preuve nouvelle. La fable qu’il a portée au théâtre est très simple :