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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/471

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entre les nations. Processions dans la cathédrale et à travers les rues, réunions du soir dans la petite chapelle de Sainte-Catherine, courses et cavalcades sur la Piazza del Campo, personne n’a été admis à jouir de ces fêtes sans emporter à jamais en soi quelque chose du « cœur » que l’antique Sienne a daigné lui ouvrir. Et personne, ayant un peu vécu de la vie siennoise, ne pourra manquer d’éprouver une émotion délicieuse, en découvrant le lien étroit qui rattache la Sienne d’à présent à la « folle » république du moyen âge, telle que la lui révéleront les chroniques citées par M. Douglas.

Deux traits, surtout, ressortent de ces chroniques, formant pour ainsi dire le fond séculaire de l’âme siennoise : une gaité et une piété toutes deux constantes, imperturbables, et du reste intimement associées l’une à l’autre. Imprévoyans et vains, querelleurs, batailleurs, aussi prompts à se réconcilier qu’à se brouiller de nouveau, les Siennois n’ont jamais cessé de rire et de s’amuser. La Fonte Gaja, la « gaie fontaine, » le chef-d’œuvre de leur art, est en même temps le symbole de leur vie morale. Ces hommes ingouvernables, ces « anarchistes » du moyen âge, ont toujours été gais. Dans les pires dangers, lorsque l’ennemi était à leurs portes, ils s’interrompaient de fortifier leurs remparts pour aller danser et faire des « montres « sur leur chère Piazza. Ils riaient à leurs adversaires comme à leurs amis : la mort elle-même les trouvait rians. Leurs saints, dont peu de villes au monde ont produit un aussi grand nombre, sainte Catherine et saint Bernardin, le bienheureux Bernard Tolomei et le bienheureux Pietro Petroni, c’est avec le sourire aux lèvres qu’ils prêchaient l’Évangile, ou renonçaient aux plaisirs du monde : avec un sourire à la fois spirituel et innocent, un vrai sourire d’enfant.

Et, de même que leur gaité, la piété des Siennois a toujours conservé une allure enfantine. C’est le plus ingénument du monde que ces « bonnes gens » ont toujours tenu la Vierge pour leur souveraine, spécialement occupée de veiller sur eux. Nulle part, sauf peut-être dans les villes et les villages de la Haute-Bavière, le peuple n’a eu aussi profondément l’illusion de vivre en contact immédiat et réel avec la céleste patronne qu’il s’était choisie. Lorsque, sur l’ordre de Savonarole, et à l’imitation de Sienne, Florence s’avisa un jour d’élire pour roi Jésus Christ, chacun, dans cette ville de boutiquiers libres penseurs, se rendit compte que ce n’était là qu’une formalité, et que jamais le Christ ne viendrait s’asseoir en personne à la place laissée vacante par la fuite des Médicis : mais, à Sienne, chacun s’imaginait que la Vierge Marie en personne présidait sur la ville, toujours prête à