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désir du mieux, et ses travaux, sa prospérité, ses améliorations deviennent forcément des bienfaits pour la société. » Ne croirait-on pas voir là une comparaison entre la propriété collective, régime plus particulièrement arabe, et la propriété individuelle, si répandue en Kabylie ?

Ce n’est guère que depuis une quarantaine d’années que l’on a saisi les nombreuses différences existant entre l’Arabe, qui n’a point changé depuis les Gétules de Massinissa, et l’ancien Berbère devenu Kabyle. Mais, malheureusement, quand on s’en aperçut, des mesures regrettables avaient été déjà prises. L’autorité militaire, séduite par les grandes manières et le luxe des chefs indigènes, avait détruit dans la petite Kabylie un certain nombre d’institutions locales pour les remplacer par le système arabe, alors qu’une bonne politique commandait précisément la solution inverse, car le Kabyle est le seul qui, en Algérie, ait des institutions nationales, des coutumes ou kanouns, parallèles à la loi coranique, mais ne se confondant pas avec elle, tandis que, pour l’Arabe, le Coran seul fait loi. Cette particularité très importante indique que, pour entamer le bloc indigène, il fallait commencer par rapprocher de nous les populations kabyles. Ce serait cependant une erreur de croire que l’on puisse arriver à les assimiler absolument ; d’abord elles ont de longue date la passion de l’indépendance, car, déjà au temps de saint Augustin, on remarque que les mouvemens religieux, et particulièrement le donatisnie, n’étaient qu’une des formes de la révolte contre l’Europe[1] ; ensuite, et c’est là le plus grand obstacle, les Kabyles sont vrais croyans, et le musulman n’abandonne jamais sa foi, qui le sépare des adeptes de toutes les autres religions. La solidarité religieuse est la seule qui lie entre elles toutes les nationalités, tous les États soumis à l’Islam, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’au fond de la Chine[2] ; mais c’est la plus lourde chaîne que l’humanité ait jamais portée, car le Coran, pour le vrai croyant, tient lieu de tout : il est le seul livre et doit suffire à tous les besoins ; il détruit ainsi les arts, les sciences, les coutumes écrites, qui ne subsistent qu’à titre tout exceptionnel, et la philosophie ; il condamne toute étude, toute recherche, comme une chose attentatoire aux droits de Dieu ; enfin, par le fatalisme, il

  1. Saint-Marc Girardin, l’Afrique ou temps de saint Augustin.
  2. On sait qu’il existe à Constantinople une sorte de bureau panislamique secret.