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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/624

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exclusif, trop préoccupés des méthodes d’enseignement, alors que la question est surtout politique ; de fonctionnaires algériens toujours avides de créations d’emplois, et, enfin, d’hommes d’affaires flairant quelques bonnes spéculations. Il ne s’agissait de rien moins que de couvrir le pays d’écoles à bref délai, sans penser au nombre respectable de millions que devait coûter une opération de telle ampleur. Tout d’abord, fallait-il stipuler l’obligation de l’instruction ? Cela semble une pure fantaisie, car la prescription n’aurait eu aucune sanction. Les indigènes des centres pourront bien, — au prix de quelles peines et de quelles vexations ! — être astreints à envoyer leurs enfans aux écoles ; mais comment exiger que, dans les douars éloignés de 4, 8, 15 et 20 kilomètres des centres, il en soit de même ?

Créera-t-on, dans ce cas, des instituteurs nomades attachés au douar et le suivant dans ses déplacemens ? Etendra-t-on l’obligation aux enfans des deux sexes ? Mais, alors, que de difficultés pour l’instruction des filles, dans un pays où les mœurs condamnent la femme à une existence semi-claustrale et à une sorte de servitude familiale ; quel danger de créer des déclassées, chez ces jeunes filles qui, après avoir entrevu quelques-unes des lueurs de notre civilisation, devront ensuite rentrer dans la triste réalité de la vie arabe ! Donnera-t-on aux indigènes l’instruction laïque ? Elle ne rencontrera que son antipathie, car, il ne faut pas l’oublier, le musulman n’a qu’un livre, le Coran, et toute école musulmane n’a qu’un but : la lecture du Coran ; l’instruction y revêt donc par cela même un caractère religieux, auquel participe le « taleb » qui la dirige. L’expérience a démontré d’ailleurs que, dans les pays d’Orient, à l’époque où M. Crispi avait créé une série d’écoles laïques italiennes, elles étaient désertées par les indigènes au profit des écoles congréganistes, car, pour eux, instruction et religion sont choses inséparables. Et si l’on adoptait une instruction congréganiste, ne serait-il pas singulier de voir la France préconiser dans sa grande colonie une méthode qu’elle combat dans la métropole ?

Quels que soient les avantages de l’instruction, et personne ne songe à les contester, car ce serait nier l’évidence, encore faut-il l’approprier au milieu, et n’a-t-on pas souvent remarqué que, parmi les nombreux élèves que l’Orient envoie chaque année dans nos grandes écoles, l’assimilation qui se produit le plus facilement est celle de nos vices et non celle de nos qualités ?