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aujourd’hui pour dire au gouvernement autrichien : « Maintenant les choses sont retournées ; nous vous prions non seulement de nous rendre nos concessions, mais encore de nous faire des concessions équivalentes[1]. » Il eût traité de même les concessions territoriales arrachées par la France au moment critique. D’ailleurs, le Roi n’eût pas consenti, même avec celle arrière-pensée, à ces promesses fallacieuses. Goltz n’avait pas caché à l’Empereur que, si on offrait au Roi 5 millions de nouveaux sujets contre l’abandon d’un million d’anciens, il refuserait parce que le dommage moral serait incomparablement plus grand que le gain matériel[2].

Les invites de Bismarck n’étaient donc pas sérieuses, et on eut tort d’y attacher tant d’importance : c’étaient des amorces pour obtenir des confidences ; il paraissait se livrer afin que l’Empereur se livrât. Cet expédient, dont il était coutumier, ne lui réussit pas cette fois. Govone n’avait aucune qualité pour s’expliquer, et Benedetti, qui n’en savait pas plus que lui, écarta les confidences interrogatives, craignant de laisser soupçonner que ces combinaisons eussent quelques chances d’être examinées à Paris. Bismarck essaya de sortir de cette obscurité.

« Avant d’aller au Congrès, fit-il dire par Goltz, nous voudrions nous entendre avec vous. — Eh bien ! dit Drouyn de Lhuys, faites le menu. — La Prusse, répondit Goltz, peut indiquer ses desseins ; mais la France seule peut désigner son mets favori. — C’est précisément cela que nous voudrions éviter. La France ne désire aucun agrandissement ; mais, si un autre s’agrandit, elle doit obtenir un équivalent, et cet équivalent doit être désigné par l’Etat qui s’agrandit. Seulement, laissez-moi vous dire qu’une simple satisfaction d’amour-propre ne nous suffirait pas ; toutefois il n’est pas nécessaire que cette compensation constitue un accroissement de pays et de population : on peut imaginer un terme moyen qui serait considéré par tous les Français comme un avantage réel, une combinaison qui romprait des groupemens anciens inquiétans et en formerait de nouveaux qui nous fortifieraient et affaibliraient nos adversaires. » Goltz ne tira de l’Empereur que des paroles aussi énigmatiques : Il désirait un Congrès qui discutât les trois questions en litige, dans le sens de l’Italie et de la Prusse, et, en compensation, il ne

  1. Discours du 5 décembre 1876.
  2. Rapport du 25 avril 1866.