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suite des événemens n’allait que trop tôt leur donner l’occasion de relever la tête.

Le jour même où le Roi rentrait à Versailles, un courrier du Duc de Bourgogne arrivait, apportant la nouvelle que Vendôme et lui avaient opéré leur jonction avec Borwick, et que l’armée allait enfin marcher au secours de Lille. Il faut lire dans Saint-Simon la description de l’état d’agitation où cette nouvelle jeta toute la Cour. Ce monde des courtisans, ordinairement si mesuré et circonspect dans ses propos, était transformé. Chacun y parlait tout haut, laissant voir ses craintes, ou ses espérances. Les femmes elles-mêmes raisonnaient stratégie. La marquise d’O, dont le mari était auprès du Duc de Bourgogne, « s’en alloit plaignant le sort de ce pauvre prince Eugène dont les grandes actions et la réputation alloient finir avec lui dans une si folle entreprise[1]. » Mais il s’en fallait que tout le monde fût aussi confiant, et les appréhensions étaient vives. « La frayeur, dit encore Saint-Simon, étoit peinte sur tous les visages d’une manière honteuse. Passoit-il un cheval un peu vite, tout couroit sans savoir où. L’appartement de Chamillart étoit investi de laquais jusque dans la rue. Chacun vouloit être averti au moment qu’il arriveroit un courrier, et cette horreur dura près d’un mois, jusqu’à la fin des incertitudes d’une bataille[2]. »

La vie de la Cour était comme suspendue ; plus de comédie, plus de jeu. Le Roi avait écrit aux évêques pour leur demander des prières publiques. En réponse à cette demande, les prières de quarante heures étaient ordonnées partout, et les églises ne désemplissaient pas. Il semblait qu’on fût comme au moyen âge dans un temps de grande calamité publique, et « véritablement, dit Sourches, on avoit grand besoin de recourir à la miséricorde de Dieu dans une conjoncture où l’Etat étoit si proche de sa ruine[3]. »

On peut penser la part que la Duchesse de Bourgogne prenait à ces agitations. S’il faut chercher dans Saint-Simon le tableau de la Cour, c’est aux lettres de Madame de Maintenon qu’il faut demander la peinture des sentimens qui agitaient alors l’âme de la pauvre princesse. Jamais elle ne fut tout à la fois si grande

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, p. 300.
  2. Ibid., p. 300.
  3. Sourches. t. XI, p. 169.