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sa place, sous peine de voir l’action de son génie s’amoindrir avec la sphère de ses intérêts et la poussée de ses énergies. Puissance mondiale, la France l’est encore de par ses traditions et sa vocation historique, de par la nature de son génie, de par l’étendue et la variété de ses possessions exotiques, de par la diffusion de sa langue. Nous avons beau répudier, comme contraire à nos principes et aux droits de l’humanité tout impérialisme agressif, nous devons avoir, nous aussi, bon gré, mal gré, une politique impériale, parce que nous avons un empire ; et parce qu’en dehors même des limites encore mal définies de cet empire français, autrement grand que celui de Napoléon, nous tenons, de l’histoire ou de la nature, des sphères d’influence morale ou matérielle où prévalent notre esprit, nos idées, notre langue et notre littérature.

Pour soutenir cette politique mondiale, pour défendre et pour étendre cet empire qui, à la différence d’autres impérialismes, ne repose pas uniquement sur la force ou sur le commerce, quels sont nos armes et nos moyens d’action ? Comment, avec notre population stagnante, avec notre industrie, notre commerce, notre marine qui plient sous le poids des charges et sous les menaces du socialisme, avec notre richesse elle-même entamée par des impôts sans cesse grandissans, comment pouvons-nous tenir tête à des compétiteurs qui, chaque année ou chaque décade d’années, comptent par millions d’hommes et par centaines de millions de francs l’augmentation de leur population et celle de leurs exportations ? Que de causes d’infériorité pour notre vieille France, dans cette lutte devenue déjà par trop inégale !

En de telles conditions, qui vont chaque jour s’aggravant, un gouvernement français a-t-il le droit de priver la France d’un des principaux agens d’expansion qui lui restent ? Un parlement peut-il se permettre d’enlever à notre langue, à l’heure même où sa royauté ancienne est partout contestée, ses plus nombreux et ses plus zélés champions dans les cinq parties du monde ?

Or, entre tous les agens d’expansion et tous les instrumens d’influence au loin, il en est un, par lequel la France, hier encore, l’emportait sur tous ses concurrens, instrument gratuit et pacifique qui travaille partout en silence pour elle. Ce sont nos missionnaires et nos religieux, infatigables organes de la plus grande France. Nous ne sommes pas seuls assurément à