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classiques, tend à détruire chez nos jeunes artistes l’originalité, l’indépendance, et à nuire, en somme, au libre développement de leur personnalité.

Rapprochons ce grief du premier que nous avons enregistré, celui dont le débile Poerson se fit l’interprète dès la première heure et qui consiste à démontrer l’inutilité du séjour à Rome par l’équivalence des moulages que l’on peut mettre partout sous les yeux des élèves. Les deux critiques se contredisent ; car, s’il est dangereux de placer les élèves en présence d’un idéal trop consacré, qui les incite à l’imitation et les empêche d’écouter leurs inspirations secrètes, l’influence n’en sera pas moins périlleuse à travers la reproduction qu’en face des œuvres originales. Mais enfin, si cette influence devait être néfaste, quels ravages n’aurait-elle pas produits durant la première période de notre installation artistique dans Rome, alors que nos pensionnaires, devenus les fournisseurs nationaux de beauté classique, n’avaient pas le loisir de détourner un instant leurs yeux de cette beauté, leur esprit de sa domination souveraine, ni leurs mains de son service ? Si, sous un tel joug, l’art français risquait de tomber dans la routine, l’impuissance ou le formalisme, l’épreuve suffisait et au-delà pour la manifestation de ce résultat. Elle ne pouvait être ni plus complète, ni plus décisive.

Qui oserait la condamner, même excessive comme elle le fut, en considérant ce qui l’a suivie ? Pas un peuple moderne ne peut prétendre à rivaliser avec la France sur le domaine des Beaux-Arts durant le XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe, c’est-à-dire lorsque eurent mûri les fruits du système d’éducation artistique que notre pays avait adopté. Si nous ne lui devons pas tout, à ce système, s’il est difficile même de lui faire équitablement sa part, encore est-il juste de reconnaître que, s’il n’a pas donné l’impulsion totale, du moins n’a-t-il rien paralysé. C’est réduire à sa plus faible mesure la gratitude qui lui est due que de lui attribuer, dans l’admirable épanouissement de notre Ecole française, l’élégance, le goût, le style qui, sans empêcher des qualités plus spontanées ou plus éclatantes, ont fait de cette Ecole un enseignement pour l’univers.

Jamais, depuis le temps de la Renaissance, la sculpture ne s’était élevée à des œuvres aussi définitives que durant cette époque féconde pour l’art français qui va de Coustou, de Bouchardon, de Coysevox, à Falguière, à Chapu, à Carpeaux, en