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organisée ? Pendant quatre années, — celles où la vocation s’affirme, où le talent trouve sa voie, — elle place aux sources de toute beauté artistique et à l’abri des préoccupations matérielles, de jeunes artistes que leur pauvreté eût sans doute contraints à des productions hâtives, et eût privés certainement de ces spectacles sublimes, de ces loisirs tant souhaités, de ces méditations heureuses, si favorables à l’éclosion du génie. La rude épreuve que l’État impose aux candidats écarte généralement du concours ceux à qui leur fortune garantit les avantages qu’il promet. Le don magnifique va donc à ceux qui en ont véritablement besoin, à ces fils du peuple que le démon de l’art désarme dans la lutte immédiate pour la vie, et dont l’essor est entravé par la nécessité de gagner le pain quotidien. L’indépendance de l’artiste, au nom de laquelle on prétend parfois condamner l’intervention officielle avec ses règlemens indispensables, est une chose précieuse et sacrée entre toutes. Mais peut-on le considérer connue indépendant, le pauvre garçon qui, pour vivre, transforme en outil de manœuvre sa brosse ou son ciseau et plie son inspiration aux vulgarités d’une besogne industrielle ? Dans une telle occurrence, sa facilité même lui est un piège, et le succès sur ce terrain risque d’avilir à jamais non seulement son talent, mais son caractère. La besogne rémunératrice, d’abord accueillie avec répugnance, sera bientôt entreprise avec philosophie, puis recherchée avec cupidité. Et ce triste enlizement de la fierté, de la volonté, sera d’autant plus rapide qu’il s’accomplira dans le milieu coutumier, parmi les suggestions tentatrices du luxe, de la mode, les engouemens d’atelier et de salon, tous les sursauts d’une opinion au jour le jour, qui se fait et se défait au hasard de la réclame et du caprice.

Pour que la personnalité se dégage parmi tant de sollicitations et d’obstacles, il lui faut certes une plus rude trempe que pour échapper à la fascination de la beauté classique, à un idéal d’école, à ce qu’il entre fatalement de conventionnel dans des concours où de très diverses natures doivent être jugées équitablement suivant une même loi.

Mais la personnalité, l’originalité, n’est-ce pas le sceau même du génie ?… Qu’y a-t-il de plus rare au monde et qu’y a-t-il aussi de plus fort ? Elle jaillit d’où on l’attend le moins, efficace mystérieusement là où l’on se croyait sûr de l’avoir vue poindre. C’est comme l’esprit des Saintes Écritures qui « souffle où il