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contemporains que par les écrivains romantiques de la génération suivante, les Novalis, les Schlegel, les Schelling et les Schleiermacher, les Hoffmann et les Brentano. Avec sa haine du rationalisme, son besoin passionné de surnaturel, son mélange de piété mystique et de sensualité, Lavater a donné au romantisme allemand quelques-uns de ses caractères les plus distinctifs.

C’était, au reste, un homme d’une pureté et d’une noblesse d’âme merveilleuses, généreux, désintéressé, débordant d’amour et de compassion : un vrai chrétien suivant l’Évangile, sans autre défaut que, peut-être, une petite vanité littéraire, la plus innocente du monde, une foi excessive dans l’importance de tous ses efforts et la justesse de toutes ses idées. Et, certes, ses idées n’étaient pas toujours justes ; mais toutes offraient un charme propre, relfétant ce qu’il y avait en lui de singulier à la fois et de séduisant. Car Lavater était, de nature, un poète, bien qu’il ait écrit des vers détestables. Son esprit, extrêmement actif, fécond, avide d’imprévu, possédait en même temps à un très haut degré le sens d’une harmonieuse et solide beauté. Dépassant en « curiosité encyclopédique » l’esprit de Goethe, — qui d’ailleurs était loin de s’intéresser à autant de sujets divers qu’il le croyait lui-même, — il le dépassait aussi, sur bien des points, en goût, en pénétration, et en compétence : étant de ces esprits qui se livrent tout entiers aux choses, au lieu de n’en prendre que ce qui peut servir à leur profit personnel. A ceux qui auraient aujourd’hui le courage de la lire, l’œuvre de Lavater révélerait, on peut l’affirmer hardiment, un trésor d’ingénieuses pensées et d’émotions délicates.

Mais le malheur est que personne, aujourd’hui, n’a plus le courage de lire l’œuvre de Lavater. Cette œuvre, jadis pleine de vie, est désormais si absolument morte que personne n’ose plus même essayer de la ressusciter. Et sa mort ne résulte pas d’une injustice du hasard, à supposer qu’une telle injustice soit possible parfois. D’avance, fatalement, l’œuvre de Lavater était condamnée à périr tout entière ; car elle portait en soi deux vices fonciers, dont chacun, à lui seul, aurait suffi pour l’empêcher de prendre rang parmi les œuvres durables.

Le premier de ces vices était la fâcheuse qualité de son style. Il y a, dans l’histoire de la littérature, des œuvres mal écrites qui continuent à se laisser lire : mais c’est à la condition que leur mauvais style ne soit pas trop gênant, ne s’interpose pas avec trop d’insistance entre la pensée de l’auteur et l’attention du lecteur ; tandis qu’on ne saurait imaginer un style plus indiscrètement mauvais que celui de Lavater. Haché, saccadé, informe, plein de fatigantes parenthèses et