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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/950

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de patience, de force, de sagesse, de bonté, de variété, de calme… » Dans une lettre du 7 décembre de la même année, il le compare à la chute du Rhin à Schaffhouse. « Chaque fois qu’on se retrouve en sa présence, on est plus frappé de sa perfection. Il est le mieux du mieux, la (leur de l’humanité. »

Tels étaient, en 1779, les sentimens de Goethe à l’égard de Lavater. Dès la première lettre qu’il lui avait écrite, il l’avait prévenu qu’il « n’était pas chrétien. » Lavater s’était empressé de lui répondre qu’il le préférait, païen, à bien des chrétiens. « Qui donc, lui avait-il écrit, peut être assez sûr de sa propre foi pour porter un jugement sur le foi d’autrui ? » Et l’aveu de Gœthe n’avait rien changé à la tendre intimité de leurs relations. Mais voici que tout à coup, en 1782, le poète s’aperçut qu’il était décidément trop « inchrétien » pour pouvoir rester en rapports avec un pasteur, et d’une espèce aussi essentiellement « chrétienne » que celui-là. Lavater lui ayant envoyé, son nouveau livre, Ponce-Pilate, ou la Bible en petit de l’Homme en grand, il déclara franchement à son ami que ce livre l’avait révolté par son « intolérance. » Et comme le pauvre Lavater le suppliait de lui désigner les passages qui avaient pu lui valoir un tel reproche, Gœthe, dans une seconde lettre, répondit que le fait d’admirer le Christ constituait à ses yeux la forme la plus odieuse de l’intolérance. « Tu tiens l’Évangile pour une vérité divine ; pour moi il est plutôt un blasphème contre le grand Dieu, révélé dans la Nature. Tu ne trouves rien de plus beau que l’Évangile ; moi, je connais des milliers de pages, anciennes et récentes, que je tiens pour plus belles, et plus utiles aux hommes, et plus indispensables !… Et tu viens me demander en quoi consiste ton intolérance ?… Tout au plus te concéderai-je que, si j’enseignais ma religion, comme tu le fais, tu aurais sans doute plus de droit encore à te plaindre de mon intolérance que je n’en ai à me plaindre de la tienne. »

D’année en année, depuis lors, l’affection de Gœthe pour Lavater va se transformer en une haine féroce. En 1780, le poète écrit à Mme de Stein : « Lavater est venu à Weimar et a demeuré chez moi. Nous n’avons pas échangé une seule parole un peu intime. Il s’est montré à moi, une fois de plus, avec toutes ses perfections, mais mon âme est restée immobile, en, face de lui, comme une eau pure dans un verre. » L’année suivante, pendant son voyage en Italie, il reçut un livre de Lavater, Nathanaël, dédié par l’auteur à « un Nathanaël dont l’heure n’est pas encore venue. » Et l’on ne peut rien imaginer de plus attendrissant que les pages où l’écrivain suisse, ignorant la crise qui s’est