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à suivre dans son essor ; il trouvera dans l’élite des lecteurs des admirateurs passionnés, enthousiastes : il ne sera jamais populaire.

Bien différente fut la destinée d’Henry Reeve[1]. Il était né en Angleterre en 1813 ; il était de quelques mois à peine le cadet de Krasinski. Il devait lui survivre de longues années. Il mourut à quatre-vingt-trois ans, le 21 octobre 1896. Vers l’âge de quinze ou seize ans, sa mère le conduisit à Genève pour consolider sa santé délicate-, et pour le perfectionner dans l’étude du français. C’est là qu’il rencontra Krasinski ; les deux jeunes gens se lièrent d’une amitié intime et fraternelle. Tous les cœurs généreux battaient alors pour la cause de la Pologne ; en dehors de Krasinski, Reeve rencontra tour à tour Adam Mickiewicz, dont il mit en vers anglais le poème Faris, puis, plus tard, soit à Genève, soit en Angleterre, Adam Czartoryski, Walewski, le futur ministre de Napoléon III, le poète Niemcewicz ; etc. Sa mère le destinait d’abord à la médecine, mais il s’en dégoûta vite et se tourna du côté des sciences sociales et politiques.

Il suivit à Genève les cours de Rossi, retourna en Angleterre, voyagea en France, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Pologne, fut l’un des fondateurs de la British and Foreign Review, et, vers 1840, fut nommé, grâce à l’amitié de lord Lansdowne, Clerk of appeals to the privy Council, plus tard, en 1852, Regislrar (directeur du service d’enregistrement) du Conseil privé ; vers 1840 également, il était entré à la rédaction du Times et fut un des plus vaillans collaborateurs du célèbre journal. Il y resta jusqu’en 1855, époque à laquelle il prit la direction de la Revue d’Edimbourg.

Il fut en relations avec tous les hommes distingués de l’Angleterre et de la France, avec Guizot, Thiers, Barthélémy Saint-Hilaire, Jules Simon, Victor Duruy, le Duc d’Aumale, qui fut un de ses patrons à l’Académie des sciences morales, dont il devint membre associé en 1889. Le Duc d’Aumale l’honorait d’une amitié particulière et le reçut souvent à Chantilly. Après la mort de Reeve ce fut lui qui prononça son éloge devant l’Académie des sciences morales (séance du 16 novembre 1895).

  1. L’ouvrage capital sur Reeve est celui de J. K. Laughton, Memoirs of the life and Correspondance of Henry Reeve, 2 vol., Longman, Green and C°. London, 1898. Voyez sur cet ouvrage, dans le Correspondant du 25 octobre 1898, un article de M. Dronsart et dans la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1898 une étude de G. Valbert : Un Anglais qui aimait la France.