et que tout s’accroissant autour de la pensée, la pensée elle-même diminue. C’est une prodigieuse polyphonie, mais tout extérieure et descriptive, que cette mêlée instrumentale ; je la donnerais pour un mouvement, un seul, de la symphonie Héroïque : pour certaine gamme soudainement élancée et pour le thème sublime qui jaillit d’elle, où semble battre en un instant l’aile de toutes les victoires et le cœur de tous les héros.
Mais il y a dans l’œuvre de M. Richard Strauss une chose que je ne donnerais pas volontiers et qui m’a paru digne des plus belles : c’est la fin. « Le coucher de soleil, disait Shakspeare, ou le finale d’une mélodie, — l’arrière-goût des douceurs en est toujours le plus doux, — restent gravés dans la mémoire. » C’est plus que la douceur, c’est la paix, une paix auguste et surhumaine, dont cette conclusion laisse le souvenir, Elle n’a rien d’une apothéose : elle peint une retraite attristée et sans gloire, mais sans amertume ni colère, un adieu superbe de grandeur, de mélancolie et de sérénité. Ces pages provoquent des comparaisons redoutables et peuvent Tés soutenir. Aussi las que le Faust de Berlioz, plus désabusé que celui de Schumann, le héros se réfugie dans la solitude et les voix de la nature y chantent pour le consoler. Mais surtout il s’enfonce en lui-même et là, pour lui rendre témoignage, d’autres voix s’élèvent et chantent aussi. Le finale est fait de leurs magnifiques et calmes concerts. Ici tout un ordre de sentimens supérieurs est traduit par un art qui les égale. Ce n’est plus l’orchestration qui nous intéresse ou nous étonne, c’est la pensée musicale qui nous émeut et nous attendrit parce qu’elle exprime et sert la pensée pure, la plus sereine et vraiment la plus héroïque pensée.
Une telle fin nous conduit, nous élève naturellement à ce cinquième et dernier concerto de Beethoven, supérieur à tous les autres, égal aux symphonies, et qu’on a si bien appelé « l’Empereur. » Il connut à son avènement des fortunes diverses. Écrit en 1809, dédié, comme tant d’autres merveilles, à l’archiduc Rodolphe, destinataire glorieux entre tous les amis du maître, le concerto en mi bémol fut joué pour la première fois à Leipzig, en décembre 1811, avec un succès extraordinaire. Vienne, peu de temps après, lui fit un non moins étonnant accueil. Théodore Körner écrivait, le 15 février 1812 : « Nous avons eu mercredi dernier, au profit de la Société de bienfaisance des dames nobles, un concert et des tableaux vivans, ceux-ci d’après les originaux de Raphaël, Poussin et Troyer que Goethe décrit dans les