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être commodes, au Duc de Montpensier et à vous, pour jouer des charades ; j’ai joint à cet envoi celui de deux ceintures, telles que les portent les montagnards basques. Le costume complet est celui-ci : béret rouge, blanc ou brun ; veste rouge, gilet blanc, culotte brune, bas bruns, le tout d’un effet très pittoresque ; rien n’est plus élégant et plus riche de couleur ; je vous aurais envoyé le costume complet, si j’avais eu votre mesure ; si vous le voulez, il est encore temps, je ne partirai d’ici que le 22…


Pau, 20 septembre 1837.

Mon cher Prince,

J’arrive de mon voyage dans les Pyrénées où je suis resté cinq jours sans me reposer un instant, ayant fait plus de cent lieues en poste et près de quarante à cheval… A chaque détour de la montagne, le paysage change : il en est de toutes les couleurs et de tous les aspects. Une gorge des Pyrénées, entre Saint-Sauveur et Gavarnie, s’appelle le Chaos, et rien n’y ressemble plus. Imaginez d’énormes rochers, sur une étendue de plus d’une lieue, entassés les uns sur les autres, dans une hauteur considérable, dans un désordre affreux, et comme si la main de Dieu eût secoué le sol sur lequel ils reposent dans une confusion immémoriale ; rien n’est plus imposant, plus austère, plus terrible. Le chemin, au milieu de ces colosses de granit, est des plus rudes, mais on est bien payé de sa peine.

Gavarnie n’est pas un cirque romain, comme vous pourriez le croire, mais une sorte d’amphithéâtre naturel d’une hauteur gigantesque. Les Romains eux-mêmes n’ont jamais rien fait ni conçu de pareil. La température y est si froide pendant la nuit, qu’on y trouve des masses de neige éternelle, et cette neige est si dure, que le magnifique soleil qui éclairait cette grande scène, quand j’y arrivai avec Liadières, sa femme, le général Auvray et mon beau-frère, n’avait pu entamer même sa surface. Un effet qui tient du prodige, quand on approche du cirque de Gavarnie, est celui-ci : au moment où le cirque se découvre aux yeux dans toute son étendue, on croit n’en être plus distant que d’un quart d’heure ; il n’y a pas de raisonnement qui puisse modifier, à cet égard, l’impression qu’on éprouve ; eh bien ! il faut deux grandes heures, à cheval, pour arriver dans l’enceinte. C’est le sort des choses vraiment grandes de rester incomprises. La véritable grandeur (comme celle de Saint-Pierre de Rome, par exemple,