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à écrire, même quand, à distance, on paraît jouir de la plus grande liberté. Ce que je vous demande, c’est de me donner signe de vie en deux lignes, quand vous venez d’échapper à un danger sérieux. Il me faut cela, en quelque sorte, pour être rassuré et consolé.

Votre lettre a précédé de bien peu votre départ pour Milianah ; mais, quand vous recevrez la mienne, vous en serez très probablement revenu. Vous m’annoncez d’ailleurs que vous serez rentré dans vos cantonnemens avant le 15 mai. Voici donc mon esprit qui va hâter à grand renfort de souhaits et d’espérances l’arrivée de cet heureux jour. Pour vous, le bon temps, c’est quand vous courez la campagne, mais, pour nous, c’est quand vous êtes à l’abri : vous aimez à vous battre, et nous aimons à vous savoir en repos. Néanmoins, ce goût de votre repos ne va pas, chez moi, jusqu’à méconnaître les exigences de votre situation, de votre jeunesse et de votre rang ; c’est donc avec regret que je vous verrais condamné à la garde d’un camp dans la province d’Alger, pendant que le Prince votre frère tenterait les hasards de la guerre sérieuse qui va se faire dans l’Ouest. Je ne comprendrais même pas qu’on vous séparât l’un de l’autre : éloignés de votre famille, c’est bien le moins qu’on vous rapproche par la communauté des fatigues et des dangers, d’autant plus qu’il y en a partout à essuyer et à courir. La campagne d’Oran, si elle n’est très significative, vous laissera dans une situation pire que celle où vous êtes et que je trouve très mauvaise. Je vous remercie de ce que vous me dites de mon premier travail sur l’ouvrage du général Létang. Il est vrai que je n’ai guère traité la question, et je me suis laissé aller au plaisir de faire du pittoresque, mais, du moins, je n’ai pas eu d’autre prétention. Dans un autre article, je suis allé plus loin ; je le soumets à votre expérience, que je crois suffisante à me juger, car vous voyez bien. Les journaux annoncent que MM. De Tocqueville, de Beaumont et de Corcelles sont en ce moment en Afrique ; ils vont étudier la question sur le terrain. Si vous les voyez, je n’ai pas besoin de vous recommander, mon cher Prince, de leur faire bon accueil : vous connaissez Tocqueville, c’est un grand esprit et un caractère difficile et ombrageux ; de Beaumont est un puritain spirituel et honnête ; Corcelles a des lumières dans l’esprit et dans le cœur. Ils sont députés tous les trois, et méritent que votre intelligence communique franchement avec la leur.