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c’est la démoraliser plus que si on la faisait battre. Nous avons déjà vu à Gitschin combien c’est une opération longue, difficile, ingrate et désorganisante. Frédéric-Charles n’avait pas ordonné à Fransecky de s’engager dans le bois de Swiep : il fut, à coup sûr, contrarié de cette initiative, qu’il ne pouvait soutenir ; néanmoins, il ne rappela pas la 7e division et la laissa poursuivre sa bataille. Benedek eût dû agir de même. D’ailleurs, la trouée laissée béante, et qu’il fallait à tout prix fermer, ne pouvait plus l’être efficacement par les deux corps engagés. Avant de se retrouver en position, ils devaient exécuter une marche de flanc, menacés tout le long d’une irruption de l’ennemi. Fussent-ils rentrés dans leurs emplacemens du matin, ils y seraient arrivés en un tel effarement qu’autant valait qu’ils n’y fussent pas, tant ils seraient peu en état de fournir une résistance sérieuse.

C’est par ses réserves, comme venait de le lui conseiller Molinari, que Benedek devait suppléer les deux corps laissés libres de poursuivre leur combat. L’heure d’engager les réserves, toujours si difficile à déterminer, sonnait à étourdir les oreilles : il fallait l’entendre. Les réserves ne sont pas seulement destinées à achever une bataille gagnée ou à couvrir une bataille perdue : elles servent à parer aux accidens de la bataille elle-même et à réparer les mauvaises dispositions prises. Un corps, celui de Gablentz (Xe), suffisait à défendre le front déjà couvert par les formidables batteries et par-là inabordable. Il n’y avait donc qu’à pousser vers Horenowes, dès 10 heures du matin, le corps de l’archiduc Ernest (IIIe), le moins éprouvé et en même temps le plus rapproché ; le faire suivre par le corps de Ramming (VIe), tandis que la belle cavalerie qu’on avait sous la main battrait l’estrade en avant, afin de ralentir les progrès du Prince royal. Les deux corps auraient eu ainsi le temps d’atteindre Horenowes[1] ou les hauteurs de Maslowed ou de Nedelist, et le Prince royal eût trouvé à qui parler. Si du même coup Benedek eût rapproché des Saxons l’autre portion de sa réserve, le corps Gondrecourt (Ier), et son artillerie, en se barricadant sur sa gauche autant qu’il l’était déjà sur son front et allait l’être sur sa droite,

  1. État-major prussien : « Le Prince royal devait croire que l’ennemi avait placé les troupes chargées de couvrir son flanc en arrière de la hauteur ; s’il ne l’avait déjà fait, il avait encore le temps d’envoyer ses réserves de ce côté, pendant que les Prussiens traverseraient cet espace d’environ 4 kilomètres sur un terrain qui va en s’abaissant et où les bataillons ne pouvaient se dissimuler. »