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incidentes captieuses. Ceux qui ne doutaient pas de sa loyauté le suspectaient de légèreté, quoiqu’il fût très sérieux. Gramont s’en plaignait à son collègue Benedetti : « On parle tant à Paris ! on touche tant de choses à la fois ! on manipule tant d’idées, et tout cela si légèrement, que je ne m’étonne pas que la confusion se fasse dans les esprits. Plus j’observe mon pays, mon gouvernement, mon ministère, plus je trouve qu’on se laisse envahir par les faits, sans assez faire la part de la réflexion. Il faudrait enfermer chaque matin le ministre pendant deux heures dans une chambre, sans livre, sans papiers, tout au plus avec un cigare, pour le forcer à réfléchir[1]. »

Les échecs successifs de la politique des compensations ne permettant plus ni à l’Empereur, ni au ministre, de continuer leur collaboration, Drouyn de Lhuys donna sa démission, tout en restant chargé des affaires jusqu’au choix de son successeur. Quand Drouyn de Lhuys avait succédé à Thouvenel, on avait cru à un changement de politique extérieure. Cependant, avec quelques variantes momentanées, la politique du nouveau ministre, même sur le point qui avait amené la crise, la question romaine, était demeurée identique, et la convention du 15 septembre, conclue par Drouyn de Lhuys, ne différait pas du projet qui avait entraîné la chute de Thouvenel. De même le départ de Drouyn de Lhuys, en 1866, ne fut qu’une victoire personnelle de La Valette et de Rouher contre un rival, depuis longtemps battu en brèche. Sous leur administration intérimaire aussi bien que sous celle du ministre définitif, de Moustier, la ligne de conduite à l’égard de la Prusse resta celle de la recherche des compensations. La seule différence fut qu’elle changea d’objet. Elle porta sur la Belgique et non sur les provinces rhénanes ; par-là, elle s’aggrava : visant le Rhin, elle avait été téméraire ; reportée sur la Belgique, elle devint vilaine.

Parmi les anciens hommes d’Etat français, avaient régné deux opinions sur la Belgique. Richelieu voulait la former en une république catholique indépendante, barre établie entre les Hollandais et nous, qui, « formant un corps ne dépendant que de soi-même, nous ménagerait d’autant plus que nous les aiderions à conserver leur liberté acquise par notre moyen. » — Mazarin, au contraire, pensa qu’il fallait la conquérir, l’annexer et « former

  1. Lettre particulière du 16 mai 1866.