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d’une manière pratique, en établissant un beau gouvernement qui a donné, autant que la nation anglaise, dans l’ordre civil et dans l’ordre politique, des exemples de sagesse et d’initiative pondérée, a enseigné comment on peut être progressif en restant sensé, libéral sans devenir révolutionnaire, appliqué au soulagement du peuple tout en ne s’asservissant pas à ses sottises et en réprimant au besoin ses violences[1].

Et c’est sur ce peuple heureux, attaché à son indépendance, contre lequel nous n’avions aucun grief, que nous fondrions comme des oiseaux de proie, parce que la Prusse avait opéré des annexions dont il n’avait pas profité et auxquelles il n’avait pas contribué ! Croire qu’il nous serait permis de consommer cet acte de brigandage dénotait une méconnaissance affligeante des dispositions de l’Europe. Les sentimens de l’Angleterre vis-à-vis de la Belgique étaient très anciens et ne pouvaient être ignorés. Quand Henri IV parla à Elisabeth d’alliance, elle répondit : « Tant que vous voudrez, mais ne touchez pas aux Pays-Bas. » — Stanley, au moment de sa prise de possession du ministère, avait dit à notre ambassadeur : « Aussi longtemps que l’Egypte, Constantinople ou la Belgique ne seront pas mis en cause, nous nous abstiendrons d’intervenir dans les affaires du continent ; mais, si vous attachez du prix au maintien de la paix, évitez ces trois questions. » — Derby, le président du Conseil, ayant, après Sadowa rencontré au cercle notre chargé d’affaires, Baude, lui dit : « Je puis vous dire ici ce que je ne dirais pas au Foreign-Office : je comprends que vous ne puissiez pas tolérer ce qui se passe, et que vous cherchiez des compensations du côté de l’Allemagne ; faites ce que vous voudrez, mais ne touchez pas à la Belgique ! » Les relations les plus intimes unissaient les familles royales de Prusse, d’Angleterre et de Belgique et une correspondance régulière s’échangeait entre elles. Qui donc renseignait nos ministres pour qu’ils aient cru une minute que le roi Guillaume briserait ses liens affectueux, romprait brusquement avec la belle-mère de son fils, s’exposerait à une guerre avec une nation qui se réjouissait de sa grandeur récente et en souhaitait l’accroissement, et cela en vue de complaire à un Empereur dont il se défiait ou pour s’acquitter d’une dette de reconnaissance à laquelle il ne se croyait pas tenu ?

  1. Juste, Congrès national en Belgique, t. I, p. 30.