d’un fripon… Il est bien à propos que vous lui ordonniez de vous expliquer ce qu’il a voulu dire et que, s’il voulait en faire difficulté, vous l’y obligiez en le mettant au pain et à l’eau et en le faisant bien étriller matin et soir. Vous ne sauriez agir trop durement envers ce fripon-là, qui, pendant tout le temps qu’il a été à Vincennes, n’a jamais pu dire un mot de vérité. » Pour le présent, c’est bien une autre gamme. La parole de Lesage est une autorité devant laquelle s’inclinent tous les représentans de la justice du Roi. La seule crainte qu’on éprouve est qu’il ne veuille se montrer trop discret. On le cajole chaque fois qu’il parle ; on le menace dès qu’il se tait. La visite étrange de Louvois n’ayant pas produit sur-le-champ tout l’effet attendu, le ministre en témoigne un vif mécontentement : « Je vois avec surprise, mande-t-il à La Reynie[1], par les lettres que vous avez pris la peine de m’écrire depuis mon départ de Paris, qu’au lieu que le voyage que j’ai fait à Vincennes ait servi à quelque chose, il semble que l’espérance que j’ai donnée au nommé Lesage de sa grâce n’ait servi qu’à le faire demeurer dans son opiniâtreté à ne rien dire de tout ce qu’il sait. Sur quoi, j’ai cru vous devoir dire que, comme je ne lui ai fait espérer la grâce du Roi qu’au cas qu’il la méritât par sa sincérité sur tout ce qu’il a fait et ce qu’il peut savoir des autres, vous pouvez tenir pour nul tout ce que je lui ai dit, et recommencer son procès, lorsque vous le jugerez à propos, s’il ne change pas de conduite. » À ce billet comminatoire est jointe une note de la main de Louvois, portant que La Reynie « fera lire cette lettre à Lesage, » et la brûlera sitôt après.
Encouragé, poussé l’épée aux reins, on devine que le magicien ne se fait pas longtemps prier pour répondre aux vœux du ministre. Il redouble de précision, accumule les détails, aggrave ses articulations. Il se rappelle maintenant ce que demandait Luxembourg au sujet de Créqui : c’était, ni plus ni moins, la mort de son rival. Pour ravoir les fameux papiers, ce n’était pas seulement du Pin que le duc voulait faire périr, mais encore son ami Lhuillier, et « deux bouteilles de vin empoisonné » avaient été préparées par son ordre pour obtenir ce double résultat. Ainsi chaque interrogatoire voit éclore un forfait nouveau. Un hasard malheureux voulut que, sur ces entrefaites, un
- ↑ Lettre du 11 octobre 1679. Archives de la Guerre, t. 625.