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le mieux serait « de brûler les sorciers, les témoins elles juges. » Bezons et La Reynie n’osaient plus se risquer de Paris à Vincennes « sans une escorte des gardes du Roi. » L’excitation en vint à un tel point, que Louvois et le Roi crurent nécessaire, pour réagir contre le sentiment public, d’encourager les magistrats par une démonstration solennelle. Louis XIV, le 27 décembre, mandait à Saint-Germain, « à l’issue de son dîner, » le président, les rapporteurs et le procureur général, leur parlait lui-même avec force : « Sa Majesté, lit-on dans une des notes de La Reynie[1], nous a recommandé que nous pénétrassions le plus avant possible dans le malheureux commerce des poisons, afin d’en couper la racine. Elle nous a commandé de faire une justice exacte, sans aucune distinction de personne, de condition et de sexe… » A quelques jours de là, renchérissant sur ce langage, Louvois, écrivant à Robert, procureur général, l’incitait vivement à agir, « sur toutes les dénonciations faites par les prisonniers de Vincennes, contre qui que ce fût, et sans aucun égard du sexe ou de la qualité de ceux qui se trouveront accusés, » sans s’arrêter à « l’inconvénient de décrier des personnages considérables. »

Rassurés de la sorte, certains d’être soutenus par le maître suprême, les magistrats s’attelaient de meilleur cœur à la besogne et préparaient enfin, dans le plus absolu mystère, la fournée d’accusés, dont le nombre et l’éclat allaient dépasser toute attente.


V

Dans les premiers jours de janvier, un billet de Louvois, apporté par exprès, engageait Luxembourg à venir le trouver sur l’heure. Le maréchal s’y rendit aussitôt. Le ministre, sans préambule et s’exprimant d’un ton confidentiel, le mit brièvement au courant des propos de Lesage et des accusations qui pesaient sur sa tête. « J’appris de lui que l’on parlait de moi à la Chambre de l’Arsenal, établie contre les empoisonnemens. Cela me surprit sans m’alarmer. » À cette information Louvois ajoutait le conseil « de prendre garde » aux suites possibles de l’affaire[2], insinuait tout doucement que le plus sûr parti serait de passer la frontière et d’attendre hors de France que l’orage se

  1. Archives de la Bastille.
  2. L’abbé de la Victoire à Condé, 24 janvier 1680. Archives de Chantilly.