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régimens irlandais qui, sous la Croix du Sud, sauvent l’honneur des armes britanniques. À Queenstown, dans les premiers mois de la guerre, on voit de ces soldats irlandais s’embarquer pour le Cap sur les transports anglais en criant : Vive Krüger ! Une campagne, d’ailleurs, s’organise pour arrêter les enrôlemens en Irlande. Un dernier fait enfin, et le plus grave : une « brigade irlandaise, » spécialement levée à cet effet dans les élémens extrêmes de la population, va se mettre dans l’Afrique du Sud au service des Boers.

Il ne faudrait pas croire qu’il n’y ait eu dans toutes ces manifestations anti-anglaises que le vain plaisir d’agacer, d’irriter l’ennemi héréditaire et la joie de le voir déchu dans son prestige : C’eût été trop risquer que de froisser pour un caprice la susceptibilité britannique. Il y avait d’abord de l’admiration pour le petit peuple qui luttait, comme lutte l’Irlande, pour sa nationalité. Il y avait cette sympathie que la sentimentale Erin donne naturellement aux faibles, aux vaincus, qu’elle a donnée naguère à l’Espagne, lors de la guerre hispano-américaine, malgré tant de liens qui l’attachent à cette greater Ireland, l’Amérique. Il y avait surtout l’horreur pour la conquête et ses excès, pour l’Impérialisme qui avait tout provoqué, pour l’Angleterre et l’Empire qui avaient tout accepté. Qu’est-ce que l’Impérialisme, aux yeux de l’Irlande ? Une doctrine de réaction, un Évangile de la force, au nom duquel on resserre ses liens de captivité. Que lui importe cet Empire britannique, c’est-à-dire étranger, dont elle n’est pas maîtresse, mais sujette, qui ne lui est pas une gloire, bien que ses fils aient donné, pour le fonder, plus que leur part d’efforts et d’intelligence, qui ne lui est même pas un profit, puisqu’elle n’a ni industrie ni commerce, et dont cependant elle paie en sa misère toutes les charges et plus que sa part de charges ? Invita pars Imperii, l’Irlande ne demande qu’à vivre, et non à conquérir ni à s’enrichir. L’Empire est pour nous a curse, une malédiction, disait naguère en pleine Chambre des communes l’éloquent et passionné tribun irlandais, M. John Dillon ; il ne nous a jamais valu que souffrances, misères et ruines !…

L’Irlande ne demande qu’à vivre : encore veut-elle vivre libre, et tous ses griefs séculaires contre la domination anglaise lui remontent naturellement au cœur et s’exaspèrent sous l’influence de la guerre et de l’Impérialisme. On nous reproche, disent les