Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VI

Ce qui est certain, c’est que, d’une façon ou de l’autre, l’Irlande se trouve enfin en vue d’une solution de la question agraire. L’Impérialisme britannique aura eu en Irlande ce contre-coup, en excitant les esprits et en provoquant l’agitation, de précipiter les événemens, de donner essor à des mouvemens qui se préparaient de longue date et qui se résoudront pacifiquement et peu à peu en une grande révolution sociale dont on devine déjà les caractéristiques essentielles, la création de la petite propriété paysanne, la rupture des forces de l’unionisme irlandais, la déchéance de l’Ascendancy, de la caste anglaise autrefois souveraine.

L’Irlande espère donc enfin guérir de ce cancer intérieur qui depuis des siècles la ronge et tarit en elle les sources de la vie nationale : le landlordisme. Ce mal séculaire détruit, la terre aux mains de celui qui la cultive, ce serait la voie ouverte à toutes les réformes ultérieures dont dépend l’avenir du pays ; ce serait non seulement l’agriculture mise à même de se développer et de s’outiller à la moderne, comme s’efforcent de l’y aider M. Horace Plunkell et ses collaborateurs, mais, dans toutes les branches de l’activité économique, le progrès enfin rendu possible ; ce serait le paysan devenant « conservateur » en même temps qu’il devient propriétaire, comme il le serait depuis longtemps déjà, tant il est dans son tempérament de l’être, si seulement il avait eu quelque chose à « conserver ; » ce serait enfin la paix et le calme rendus au pays, la fin des luttes agraires et des excès de l’agitation qui l’épuisent, une vie nouvelle qui s’ouvrirait pour l’Irlande. Verra-t-on d’ailleurs, avec le landlordisme, disparaître les landlords ? On verrait sans regret, je pense, disparaître ceux que rien n’attache au pays, les « absentéistes, » parasites de la terre irlandaise, qui, dans le passé, par leur égoïsme, leur tyrannie, leur oubli de toute fonction civilisatrice, ont déshonoré le régime anglais en Irlande ; qui, dans le présent, n’ont d’autre conception politique que le spoils System, la politique des dépouilles publiques, ne savent que se plaindre que leur loyalisme ne leur rapporte plus, — loyalty does not pay ; — et qui, s’ils sont « loyaux, » le sont à leurs intérêts et à leurs situations bien plus