shakspeariens. La scène de l’esplanade est du nombre, avec la sombre introduction qui la prépare, avec ses récitatifs d’un style si grave, avec l’adjuration d’Hamlet, filialement douloureuse et tendre, avec la mélopée du spectre, traînante comme le brouillard, froide comme la mort et la nuit ; enfin, avec ces fanfares de trompettes, de « trompettes hideuses, » qui sonnent au loin dans le palais illuminé. Le roi meurtrier « passe la nuit à boire au milieu de l’orgie, et la timbale et la trompette proclament ses toasts triomphans. »
Les divers effets de cette belle scène, imités fidèlement de la poésie shakspearienne, sont permis et même réglés par elle. Dans un autre épisode, le plus fameux peut-être de l’opéra, l’esthétique du genre commandait quelques libertés ; elles ont été heureusement prises, et la beauté de l’original, par exception, n’en a pas souffert. Malgré le ballet déplacé mais obligatoire ; malgré l’étalage de virtuosité que la tradition impose à toute représentation vocale de la démence féminine (voir Lucia, le Pardon de Ploërmel et l’Étoile du Nord), la scène de l’égarement et de la mort d’Ophélie, sans traduire tout Shakspeare, ne le trahit pas non plus. Les librettistes, que volontiers j’appellerais ici poètes, nous montrent à l’Opéra ce qu’ailleurs la reine Gertrude ne fait que décrire, et deux vers d’Horace peuvent les justifier :
- Segniùs irritant animos demissa per aurem,
- Quam quæ sunt oculis subjecta…
On voit à l’Opéra « les trophées champêtres » de la fair Ophelia « tomber avec elle dans le ruisseau en pleurs. » On la voit, on l’entend elle-même, « soutenue un moment, nouvelle sirène, chanter des bribes de vieilles chansons, comme insensible à sa propre détresse, ou comme une créature formée pour cet élément. »
Il est dommage qu’elle chante autre chose : une valse, et des roulades plus fâcheuses encore, avec notes piquées et fioritures. D’un style moins pur que les vocalises du Saule, celles-ci ne sont pas des fleurs et n’ont rien de commun avec le : « sweets on the sweet » de la reine, honorant la douce morte. Mais l’entrée d’Ophélie et ses récitatifs, étonnés, interdits ; la phrase : Hamlet est mon époux, avec sa « chute mourante, » aurait dit le duc Orsino, du Soir des Rois ; enfin et surtout la ballade, chanson