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en matière pratique qu’il a introduit des changemens décisifs dans la constitution anglaise, modifié le courant de la politique anglaise en Orient, renversé une Église Etablie dans une des parties du royaume (en Irlande), et collaboré au renversement de deux autres (en Écosse et dans le pays de Galles). Ses opinions religieuses étaient toutes proches de celles d’un catholique romain ; et il fut avec cela, durant les vingt dernières années de sa vie, le chef accrédité des non-conformistes anglais et des presbytériens écossais. Scrupuleusement sérieux et sincère comme il l’était, il donnait de son caractère une opinion si fausse que les quatre cinquièmes des hautes classes anglaises en étaient venues à le considérer comme un rêveur égoïste, capable de sacrifier son pays à son ambition. Sans compter que, aux différentes époques de sa longue vie, il a employé les mêmes méthodes et les mêmes argumens. tantôt à défendre, tantôt, à attaquer les mêmes institutions. Certes, si quelqu’un, au début de sa carrière, avait pu discerner en lui le mélange de tant de diversités et de contradictions, il n’aurait pas manqué de lui prédire un échec fatal ; et, en vérité, ce mélange aurait sûrement fini par perdre un homme d’une volonté moins ferme et d’une trempe d’âme moins vigoureuse.


Cette réunion de contrastes s’explique surtout, chez Gladstone, d’après M. Bryce, par la présence en lui de deux tempéramens opposés. « Il était formé de deux hommes différens : joignant à la sensibilité la plus passionnée et la plus impulsive une intelligence éminemment prudente et conservatrice. » De là vient que, sans cesse porté par sa sensibilité à former de nouveaux projets, sa prudence intellectuelle l’empêchait longtemps de communiquer à personne ces projets nouveaux qu’il élaborait. Toujours prêt à réviser ses opinions, il s’enfermait dans un silence absolu jusqu’à ce que son travail de révision eût été achevé. Et cela seul suffirait, peut-être, pour faire comprendre le reproche qu’il a encouru de manquer de suite dans ses opinions, et d’être, pour ses compagnons mêmes, un guide peu sur. « On ne comprenait point qu’il pût tarder durant des années à révéler au public ce qui se passait en lui ; et sa réticence était volontiers prise pour de la déloyauté. » C’est ainsi qu’il avait mis quatorze ans à évoluer, dans le secret de son cœur, avant de passer du camp tory au camp libéral, et que, pendant cinq années de réflexions et de luttes intérieures, il s’était posé le problème de l’autonomie de l’Irlande, avant d’apporter à la Chambre son fameux projet de home rule. Extrêmement lent à mûrir ses opinions, « il oubliait que l’esprit de ceux qui le suivaient avait pu se modifier autrement que le sien, de telle sorte que parfois ses décisions ne surprenaient pas moins son parti que la nation tout entière. » Mais sa conduite, là comme en toute chose, tenait à l’extrême droiture de ses intentions, à son amour exalté du bien,