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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/556

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intéressé et amusé ; votre style a de la fermeté et une clarté des plus rares. Conservez ces deux qualités si essentielles ; ajoutez-y le coloris, non celui qu’on cherche péniblement, mais celui qui déborde, passez-moi le mot, dans un jeune cœur, et contre lequel je crains que vous ne soyez un peu en défense. Au surplus, j’ai peut-être tort de vous adresser ces observations ; vous écrivez au courant de la plume, sans prétention que celle d’être clair et vrai, et ces deux grands mérites éclatent chez vous, mon cher Prince, à un degré qui augmente chaque jour l’estime que m’ont inspirée pour vous nos longues et sérieuses relations.


Paris, 26 janvier 1843.

Je veux, mon cher Prince, répondre à votre longue et intéressante lettre, ou plutôt, vous donner la réplique, dans cette causerie à distance que vous avez si bien commencée. J’ignore jusqu’à quel point vos opinions sur la situation de nos affaires en Afrique sont fondées ; mais elles sont exprimées avec une si parfaite netteté qu’il est impossible qu’elles ne répondent pas à quelque chose de très positif et de très réel. Qui sera le Messie de cette colonisation africaine ? J’entends dire quelquefois que ce sera vous, et je vous connais trop pour croire à l’accomplissement prochain de cette prédiction. L’avenir peut vous réserver, en Afrique et ailleurs, une grande destinée ; mais le présent vous impose la modération ; et la modestie, qui est une des qualités distinctives de votre nature, est aussi une des conditions de votre haute fortune. Vous vous élèverez encore, mais avec la gradation qui est commandée à votre inexpérience, et, une fois sur le terrain des grandes choses, vous verrez avec quelle lenteur, quelle patience et quelle réflexion, votre esprit, d’ailleurs si facile, sera condamné à procéder. Vous le sentez déjà. Votre lettre est surtout remarquable par le sentiment des difficultés qui entourent le gouvernement d’Afrique, et vous n’avez aucune des illusions qu’on entretient ici et qu’on paie quelquefois si cher. Vous comprenez que le rôle de colonisateur de l’Afrique française sera un des plus sérieux qui puissent échoir à un homme de guerre ; je ne veux pas insister davantage sur ce sujet ; je ne ferais que répéter ce que vous me disiez avec tant de justesse quelques jours avant votre départ pour l’Afrique. Ces paroles m’ont frappé. Je vous en renvoie l’écho, non pour vous les rappeler, mais parce qu’elles s’accordent