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presque aussi sérieux que nos affaires, et, quant à moi, je ne vois pas la différence qu’il y a entre une soirée du grand monde et une séance du Parlement, si ce n’est, peut-être, que le Parlement est moins ennuyeux que le monde.

La chronique de la ville n’a pas encore grand’chose à enregistrer. Le bal de Mme M… a été brillant et froid ; il y avait deux camps en présence, et des gens qui se haïssent et se feraient volontiers pendre dansaient des à dos… Dans ce mélange très peu naturel, on s’amusait médiocrement. J’ai trouvé plus de plaisir, le lendemain, à la seconde représentation de Phèdre. Mlle Rachel montre un grand talent, quoi qu’en dise Jules Janin. Faible, incomplète et insuffisante, dans la scène de la déclaration, qui était le triomphe de Mlle Duchesnois, elle a été excellente dans tout le reste. Sa voix manque d’ampleur, elle y supplée par l’expression. Sa nature est un peu grêle et chétive, elle la complète par la puissance de l’art dans lequel elle paraît consommée, sans l’avoir appris. C’est une femme qui a tout deviné ; elle a deviné Phèdre, comme Hermione et Marie Stuart. La Phèdre mythologique vit dans son geste, dans son maintien dans ses draperies admirablement disposées. Elle a même, dans la voix, un peu de ce lyrisme qui se mêle aux tragédies de l’ancien répertoire classique, et qui en rend la déclamation si difficile. Elle a récité la scène des remords : « Minos juge aux enfers tous les pâles humains, » avec une intelligence prodigieuse des beautés pindariques de ce morceau, sans emphase, mais sans vulgarité, comme l’expression juste d’une terreur religieuse. En un mot, son succès a été complet et W… aurait pu se dispenser d’envoyer à son aide un bataillon de claqueurs qui était plutôt fait pour glacer l’enthousiasme des honnêtes auditeurs tels que moi…


Paris, 16 février 1843.

Je viens de recevoir votre excellente lettre du 4 février, mon cher Prince, et mon premier soin est de vous en remercier. Je savais, par la communication qui m’avait été fort obligeamment faite de votre récit, l’heureuse issue de l’expédition que vous avez dirigée ; le Moniteur d’Alger nous en avait déjà fait pressentir le succès ; nous n’avons qu’à nous féliciter du bonheur que vous avez eu et auquel vous avez ajouté par votre habileté, votre