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appréciés du public, et à laquelle je ne veux rien ôter par l’exagération, même sincère, de mes éloges. Vous avez noblement fait votre devoir comme soldat ; vous vous êtes montré digne du commandement ; vous avez su électriser par votre exemple une poignée d’hommes exténués et dans la position la plus périlleuse qui se pût offrir ; vous avez été prince comme il faut l’être, car, s’il est permis de se vanter d’appartenir à une race de braves, c’est en face de l’ennemi et au moment où l’on donne tête baissée dans le danger ; enfin, vous avez été humain, et c’est, à mon avis, votre plus grande gloire, car c’est la plus rare en Afrique : « Vous n’avez tué que des combattans ! » Ailleurs, on égorge, sous prétexte de nécessité, des femmes et des enfans. Vous avez donc encore donné là un noble exemple. Vous vous êtes ressouvenu que les plus grands hommes de guerre ont été aussi les plus démens, parce que c’est le cœur qui fait les grands capitaines comme les grands orateurs, peclus est quod facit. L’élan admirable qui vous a envoyé à la tête de vos braves contre la smalah d’Abd-el-Kader, vous avez su l’arrêter à temps pour épargner des vaincus ; c’est là ce qui est beau et grand, mon cher Prince : garder la mesure dans la victoire, comme dans la puissance, c’est ce qui est difficile sur cette terre. Recevez donc mes félicitations. Recevez aussi mes remerciemens, car, si l’honneur de votre belle conduite appartient sans partage à votre royale famille, il me semble qu’il en rejaillit aussi, et de bien loin, quelque rayon sur mon obscurité. Ce n’est pas moi qui vous ai appris les belles choses que vous faites là-bas, mais j’en profite aux yeux du monde, pour la part qu’on suppose que j’ai eue à votre première éducation, et l’éclat de votre premier triomphe éclaire doucement mon humilité et ma retraite, car vous savez bien que la place que j’occupe en ce moment auprès de vous n’est pas autre chose. La première nouvelle qui vint à Paris de votre beau fait d’armes, ce fut par une dépêche télégraphique qui arriva le vendredi 26 mai. Le Roi la reçut au salon. La dépêche parlait de la prise de la Smalah, et personne, le Roi lui-même, ne savait ce que ce mot voulait dire. Sa Majesté s’en allait, demandant à chacun, avec une bonne humeur charmante : « Savez-vous ce que c’est que la Smalah ? » Il me fit, à moi-même, la même question, et, le mot n’étant pas dans mon vocabulaire habituel, je ne sus que répondre. Enfin vint le général Galbois ; le Roi courut à lui : « La Smalah, dit le général, c’est la maison militaire